5 - Niall

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Niall O'Flaherty était connu dans le village pour son côté excentrique. Quand il avait proposé à Deirdre d'organiser une session open mic dans l'auberge, elle avait d'abord hésité. Pouvait-on laisser cet homme aux commandes du lounge, qui plus est pour un concert improvisé où il autoriserait n'importe qui à monter sur scène ? Le concept pouvait être tentant. Mais qui allait venir ce soir-là ? Quel public allait-il attirer ? Et pire que tout, la programmation musicale pouvait tourner à la catastrophe et ruiner la réputation de l'auberge. Le moindre enregistrement vidéo diffusé sur les réseaux sociaux et partagé en identifiant l'auberge pouvait se répandre comme une trainée de poudre et faire exploser tous les efforts menés depuis quatre ans pour faire venir une nouvelle génération de clients.

Evidemment Deirdre avait dit oui. Il s'agissait ensuite de surveiller quelle publicité Niall avait fait en ville. Pour cela, il n'y avait pas à chercher bien loin. Elle apprit très vite par ses voisins que toutes les voitures avaient reçu un flyer sous l'essuie-glace. On pouvait donc s'attendre à une invasion incontrôlée. Deuxième source, Will, qui dans son café était informé de tout. Parce qu'elle y passait tous les matins, ils avaient pris l'habitude de discuter de ce qui se passait dans le village. Hier il lui avait fait la liste de ses clients susceptibles de venir. Enfin, la troisième source de potins se trouvait en se moment dans son restaurant. C'était un trio de femmes. Elles passaient régulièrement dans l'après-midi pour siroter un thé avec des scones. Elles avaient déjà préparé leur rapport, et n'attendaient que de voir passer Deirdre pour lui parler. Mais leur sujet aujourd'hui n'était pas vraiment l'événement de ce soir.

« Avez-vous remarqué cette nouvelle bibliothèque ? demanda Marie O'Brien à ses comparses.

— Oui, c'est nouveau. C'est du bel ouvrage. Le bois est patiné pour ne pas trancher avec sa voisine. Je crois deviner qui a bien pu réaliser cette merveille, répondit Jane Butler.

— Cela semble évident, renchérit Edna O'Sullivan. Il n'y a que William Byrne capable d'une telle réalisation.

— Bien vu ma chère Edna. William est venu la poser mercredi dernier. Je l'ai vu charger son camion en fin de matinée, pendant que j'installais l'étal des légumes devant mon magasin. Et dans l'après-midi, il a disparu de son café pendant plusieurs heures.

— Mais qui tenait donc son café ?

— Voyons, Jane, c'est ce petit Français qui tourne autour d'Eileen Kelly depuis un mois. Tu sais bien que Will l'a embauché quelques jours après l'avoir ramassé sur la route. Aujourd'hui il lui fait assez confiance pour le laisser servir les clients. »

Marie s'arrêta pour boire une gorgée de thé. Edna poursuivit sa pensée.

« Will n'accorde pas sa confiance à n'importe qui. Et il a l'air très bien ce jeune homme. Eileen m'en a dit du bien lors de sa dernière leçon de chant. Elle est beaucoup plus épanouie. Sa voix est plus claire et plus expressive. Je pense qu'il y a de l'amour et que ça la rend heureuse.

— Tu as certainement raison, approuva Jane. Tu perçois dans la voix et dans la musique de tes élèves ce que moi je vois dans leur coiffure. Les gens tristes ou les gens heureux ne viennent pas dans mon salon aux mêmes moments, et n'ont pas pris soin de leurs cheveux de la même façon.

— Bien sûr, Jane, et moi aussi je vois des choses quand ils font leurs courses dans mon magasin.

— Non, personne ne dévoile son âme avec des fruits et des légumes, se moqua Edna. Marie, tu n'es qu'une voyeuse, et tu passes tes journées à guetter par la fenêtre. Tes informations, tu ne les obtiens qu'en épiant et en bavardant.

— Ne riez pas, mes amies. » Marie faisaient des gestes de protestation de la main avec l'index levé. « Si vous pensez qu'une liste de commissions ne vous apprend rien, vous n'avez rien compris. Et si vous savez comment les gens cuisinent, vous savez s'ils sont heureux ou non, et s'ils aiment leurs convives.

L'auberge de la deuxième chanceWhere stories live. Discover now