4 - Will

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Par ce bel après-midi printanier, l'auberge commençait à respirer. Les fenêtres étaient ouvertes. L'air frais apportait les senteurs naissantes des fleurs. L'humidité des pluies lui avait donné le parfum de l'humus et des bourgeons nouveaux. Les clients s'attardaient aux tables du restaurant, dans le léger courant d'air invitant à la sieste. Pour la première fois depuis de nombreuses années, Paul et Maureen s'étaient réveillés ensemble dans le même lit, enlacés et nus, peau contre peau, leurs corps chauds détendus et en confiance. Le contact renoué avait laissé son empreinte. Ils la ressentaient encore au petit déjeuner. Et encore maintenant à la fin du repas. Comme un souvenir, et le souvenir d'un souvenir. Des petits riens auxquels on s'est habitué, et auxquels on a cessé de faire attention. Des gestes que l'on a aimé donner, et qui manquent quand on ne les reçoit plus. L'impression d'une vie qui s'en va.

Et un jour, cette annonce publicitaire, pour l'auberge qui redonne le bonheur. Une deuxième chance pour ceux qui s'aiment encore. Pour ceux qui n'ont pas cessé d'y croire, mais qui ont seulement cessé de se le dire. Pour ceux qui se disent qu'ils sont amoureux du confort de vivre avec quelqu'un, mais qu'ils seraient plus heureux si la personne avec qui ils vivent pouvait les aimer encore. Alors on réserve une chambre. On se retrouve dans le hall en milieu d'après-midi, accueillis par l'inimitable Richard. On confirme la réservation du dîner préparé par la prodigieuse Rachel. On sort marcher un peu dans les jardins fleuris entourant la vieille bâtisse. On peut pousser jusqu'à la mer, qu'on entend se briser sur la digue du port à quelques centaines de mètres de là. On se prend par la main, enfin, comme deux enfants qui veulent se rassurer. On est surpris de connaître déjà cette sensation. On avance encore et finalement on ose se regarder. On se rapproche, pour que les épaules se touchent. On se souvient de sa première balade au crépuscule.

Pendant le dîner, Paul et Maureen s'étaient racontés leurs souvenirs, leurs joies, les chagrins qui s'oublient vite quand on s'aime, mais qui vous rongent quand on s'ignore. Les enfants, quelle fierté, mais qui ont pris toutes leurs forces en puisant dans celles du couple. Le travail, qui a permis de leur offrir tout ce qu'on n'a pas eu, la musique, le sport, les musées, les vacances. L'amour, sentimental et charnel, qui évolue avec les mots et les gestes, avec le temps qu'on y consacre, ou avec le temps qui passe. Oui ils s'aiment, ils se sont toujours aimés. Ils n'ont pas vu changer l'amour. Ils l'ont cru immuable et ont pensé qu'ils continuaient d'en donner sans en recevoir. Que l'autre n'en avait plus pour soi. Ils ont pleuré de s'être retrouvés. L'impression des années perdues sera vite effacée par l'espoir des années à découvrir. Cet après-midi, Paul et Maureen avaient embrassé Deirdre comme une amie, comme une sœur. Ils l'avaient remerciée et félicitée. Et ils étaient partis en se tenant par le bras, les larmes aux yeux, l'amour au cœur, les rêves en tête.

L'horloge célébrait une nouvelle mission accomplie. Trois coups théâtraux pour saluer une sortie. Will avait garé son pick-up dans l'allée de service sur le côté de l'auberge. Une vieille chanson des Pogues sortait de la radio. Il commençait à décharger des planches de bois et des outils. On ne voyait de lui que la casquette qu'il avait toujours vissée sur la tête, même quand il servait dans le café qu'il tenait au centre du village. Il avait la carrure de l'ouvrier aguerri et des vêtements amples qui laissaient deviner une bonne musculature. Quand il entra dans l'auberge, il prépara méthodiquement son chantier, en écartant des tables, en posant un escabeau, en protégeant les bibliothèques. Le matériel passa par la fenêtre ouverte. Bientôt il fit du bruit et de la poussière.

Deirdre et Rachel quittèrent la cuisine où elles finalisaient le service du midi. Deirdre portait une robe longue en tissu fleuri et de fins escarpins. Elle avait dessus un gilet et une fine écharpe de soie. Ses cheveux noirs avaient des reflets éclatants dans les rayons de soleil qui entraient par les fenêtres. Elle s'accrochait à deux mains à une grande tasse de café, comme pour se tenir chaud. Elle avança lentement entre les tables, à petits pas. Rachel arborait toujours un pantalon et une tunique adaptée à sa profession et à ses formes. Uniforme mais soignée, toujours propre pour aller en salle, même en fin de service.

L'auberge de la deuxième chanceTempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang