3 - Madame Lynch

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« Richard ! Tenez-vous prêt ! L'association des Héritières d'Eirinn ne va pas tarder. Je vois venir un fourgon qui recule dans l'allée. »

Deirdre et toute l'auberge étaient sur le pied de guerre. Il s'agissait de l'événement qui devait rapporter le plus pour la trésorerie ce semestre. A côté de ça, même la Saint-Patrick la semaine dernière était un moment de forte consommation d'alcool, et de salle comble pour le restaurant, mais de manière tellement régulière chaque année qu'il était difficile de faire progresser les recettes. En revanche, cette association des Héritières d'Eirinn, qui avait privatisé l'ensemble de l'auberge et du restaurant pour ses membres et ses invités durant le week-end de Pâques, traditionnellement calme parce que tout le monde essayait de loger sa famille chez soi, était une aubaine pour Deirdre et Rachel, qui avaient saisi l'occasion de proposer des prestations un peu plus haut de gamme et de développer la communication de l'auberge. Elles espéraient bien en avoir des retombées importantes, d'abord pour mettre l'auberge et le personnel à l'abri des assauts des banquiers cette année.

Le camion bipait en reculant le plus près possible de la porte. Deux employés avaient déjà ouvert et bloqué les deux séries de portes du sas, et attendaient l'arrivée des propriétaires d'un jour au garde-à-vous, dans leurs costumes impeccables. Deirdre, Richard, Rachel, Nigel et le chat étaient alignés devant le desk. Ils observaient par le cadre restreint de l'entrée la mise en position du véhicule qui annonçait un grand chamboulement pour la semaine à venir. Face à eux, un gros déménageur en chemise rayée, qui descendait du camion pour aller ouvrir le hayon de livraison. Il glissa des planches directement vers le sommet du perron. Il monta d'un bond dans le fourgon, décrocha des parois un diable et son chargement bien arrimé. Il mit le tout en branle, avec précision, roula sur les planches, traversa le sas en ligne droite, sans à-coup, et se stoppa au beau milieu du hall.

Sa tête se détacha enfin de derrière l'énorme boîte. Hirsute mais bien rasé, cigarette roulée éteinte au bec, on percevait les efforts faits pour paraître plus présentable qu'à l'accoutumée. Il salua d'un hochement de tête, hésita à tendre sa main rugueuse de travailleur à l'élégante patronne, ou au dandy qui semblait être son second à sa droite, ou au gamin rouquin plein de tâches de rousseur qui tentait de copier les deux premiers, ou à la petite femme rondouillarde avec son air revêche et un drôle de chapeau en papier blanc sur la tête. Impressionnante celle-là. Pas mal du tout même. Un regard perçant qui me glace, bleu-gris comme un ciel d'orage. Un petit nez charmant. Des lèvres charnues et bien rouges. Châtain, d'après les quelques mèches qui dépassent de sa toque. Peut-être même blonde à la fin de l'été quand elle a passé du temps au soleil.

« Monsieur ? Monsieur !

— ... Oui madame, pardonnez-moi. Je suis Michael Blake. Bonjour mesdames.

— C'est Richard, que voici, qui va vous indiquer où installer tout ça.

— Bien madame. Merci madame. »

Richard se déplaça pour indiquer une position dans le lounge. Blake recula derrière son diable, la tête toujours rivée sur Rachel. Il mit la charge en mouvement et la posa à la droite de Richard.

« Mais non, voyons, là où je suis...

— Ben si vous y êtes, je mets à côté, non ? »
Richard secoua la tête, fit un pas de côté, un quart de tour, et pointa le sol des deux mains. Blake souleva, roula vers l'arrière, pivota à droite, avança, posa. Richard avança une chaise.

« Le musicien sera là.

— Ben non. Fallait le dire avant. »

Blake souleva, roula en avant et en tournant, fit un virage autour de la chaise, se gara en créneau. La caisse avait changé de sens.

L'auberge de la deuxième chanceDonde viven las historias. Descúbrelo ahora