1 - Eileen

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Deux jeunes femmes entrèrent dans l'auberge, en écartant les deux portes battantes qui servaient de sas en hiver. Leurs imperméables jaunes de bord de mer apportèrent une touche de couleur dans l'ambiance tamisée de fin de journée. Elles abaissèrent leurs capuches, se tenant les portes l'une à l'autre. Immédiatement, la musique traditionnelle jouée par l'orchestre installé à la gauche du lobby les happa, transformant leur démarche en une sorte de pas plus léger, presque déjà une danse. Deux garçons en anorak sombre suivaient les deux filles, l'air curieux et perdu. Ils entraient pour la première fois dans ce lieu pourtant réputé dans la région. Ils n'étaient clairement pas d'ici, et se laissaient entraîner.

« Vous allez voir, c'est un endroit extraordinaire. Ecoutez cette musique. Peut-on imaginer plus belle ambiance dans plus bel endroit ? »

L'animation du personnel fut à peine interrompue quand elles reçurent une salutation chaleureuse. Le chasseur montait les valises des clients qui arrivaient. Les serveurs finissaient d'installer les tables pour le dîner. Les couples venus passer la nuit là flânaient entre les tables, les canapés du hall, le comptoir où on allait leur donner leur clé, et l'escalier qui menait aux chambres du premier étage.

L'ensemble des murs étaient recouverts de boiseries ouvragées. Des étagères contenaient soit des livres, soit des bibelots d'une autre époque. Les filles se dirigèrent vers une table de la salle à droite de l'entrée, celles qui étaient dressées pour servir les repas du soir. Elles s'assirent confortablement dans des fauteuils de tapisserie qui équipaient toute la salle du restaurant, donnant l'ambiance chaleureuse d'une pension de famille. Les garçons les imitèrent, un peu mal à l'aise.

« Nous voudrions une bouteille de vin rouge, s'il vous plaît. Et quatre verres. »

Ils poursuivirent leur conversation commencée dehors. Ils venaient de se rencontrer, les garçons et les filles traînant sur la digue dans des directions aléatoires. Les deux jeunes Français faisaient connaissance avec les deux Irlandaises.

« Racontez-nous comment vous êtes arrivés ici. Ce n'est quand même pas un village qui se trouve dans votre guide touristique ? demanda la plus bavarde des deux, une blonde au visage rond, du nom d'Eileen.

— Non, j'ai été déposé en stop à un carrefour un peu plus loin sur la route. Le conducteur était un peu bourru, mais assez sympathique pour me prendre avant la prochaine averse. C'était il y a deux jours. Et dans l'hostel où j'ai loué une chambre, j'ai rencontré Georges. Il est français comme moi, et on vient de deux villages éloignés d'à peine dix kilomètres. »

Le garçon qui parlait était un type banal, habillé d'un jean et d'un pull sur un t-shirt. Celui qu'il avait appelé Georges avait une mine plus dure, un taiseux avec les cheveux blonds tirés en arrière et un bouc encadrant sa bouche. Il gardait une main devant, les doigts légèrement écartés, en fumeur invétéré.

« Et comment s'appelle-t-on Jerry quand on vient de France ?

— Je m'appelle Jérôme. Quand je suis arrivé en Irlande, c'était un peu pour changer de vie. Alors j'ai choisi de me faire appeler Jerry, comme ça rien ne me rappelle jamais ma vie d'avant quand on s'adresse à moi. Et vous, que faisiez-vous sur la digue ?

— On allait traîner un peu avant de rentrer. Il n'y a pas grand-chose à faire, en dehors des animations organisées par le comité des fêtes. Bientôt, il y aura les préparatifs pour le grand marché de Pâques, qui vont nous occuper un mois. Vous verrez, c'est un village agréable, où tout le monde se connaît. On y a vécu toute notre vie, avec Sarah. »

Sarah sourit, acquiesça de la tête.

« Mon magasin préféré, c'est le disquaire, dit-elle. On s'y retrouve souvent après l'école, et on ne ressort jamais les mains vides. Et on vient ici pour la musique. On aime bien aussi observer les gens, parfois on dit du mal et on se dit qu'on est vilaines. »

L'auberge de la deuxième chanceWhere stories live. Discover now