I

2 0 0
                                    


Sous le lourd soleil de juin, un lézard arpentait le sol rocailleux. Le chemin qu'il empruntait était connu pour de sombres légendes. On dit que d'étranges géants, semblables à des Dieux, le traversaient parfois dans des véhicules démesurés faits de peau d'arbre. Mais le lézard craignait plus la soif que les rumeurs et sa langue fourchue pendait dans la poussière, à la recherche d'eau. Soudainement, sa tête allongée se tendit. Des sabots noirs s'approchaient dangereusement de lui. La bête agile les évita tous, jusqu'à apercevoir d'énormes objets circulaires. Le lézard tenta de les esquiver, quand ses organes produisent un « scrouic ».

Quelques mètres plus haut, un homme aux joues aussi rondes que son chapeau marmonna :

— T'as entendu le petit scrouic ou j'ai rêvé ?

Le conducteur, au corps aussi maigre que ses deux chevaux soupira. « Ça doit-être un cafard ou une bibite dans le genre... »

Les joues du passager se pincèrent. « On pourrait le manger, non ? »

— Ces bestioles doivent être pleines de poison, mais tu peux goûter si ça te tente ! »

Le bonhomme rondouillet s'enfonça sur son siège de faux cuir. « Non, c'est bon... »

Il se prénommait Robert et les bisous baveux de sa grand-mère lui manquaient.

Le second loubard, celui qui conduisait, le regard dur et méchant, se faisait appeler Billy. Il avait porté bien d'autres noms, tous ensevelis sous sa mémoire aride.

Depuis trois semaine, ces arnaqueurs de pacotille roulaient dans le vide et l'ennui les rongeait autant que la faim. S'ils] ne trouvaient pas un village, une cabane d'ermite ou une tribu de Peau-Rouge, il devrait toucher à leur marchandise...

Robert scrutait l'horizon et les collines orangeâtres lui rappelèrent la couleur du bœuf caramélisé dans les casseroles de sa grand-mère. Tout ce qu'il lui restait d'elle, c'était les vieux médicaments contre la toux qu'elle lui avait glissé dans sa poche. Le morceau de gigot rôtis n'avait pas résisté à leur première nuit de voyage. Robert repensa à ce morceau langoureusement.

— Dis... lança-t-il en bavant le peu d'eau qui lui restait. Tu crois qu'y a des montagnes de viande au paradis ?

— Sûrement. S'amusa Billy. Mais on n'y goûtera jamais !

— Et pourquoi donc ?

— Regarde-nous...

— Oh, dis pas ça ! On allait toujours à la messe les dimanches. Dieu, il oublie pas ce genre de truc !

— Entretemps, on a bu, volé, tué et baisé... De quoi tu me parles, vieille branche ?

Les traits épais de Robert s'emplirent de fierté. « Parle pour toi ! J'ai jamais tué personne ou invoqué le nom de Dieu en vain, ni partagé mon lit avec une femme mariée. Le seigneur est toujours dans mon cœur et Grand-Mère prie pour mon âme chaque dimanche. »

Billy éclata d'un rire semblable à celui d'un âne asthmatique. « Parce que tu crois que cette prune de Gertrude respire encore ! Pfeuh, même sa tombe doit pourrir, à force. »

Robert prit son compagnon par son col de chemise glissant. « Ça va pas de dire ça ? Le soleil te rend mauvais ou quoi ? »

Billy continua ses braillements, tout en fixant son ami. « Non. Il me rend réaliste. C'est différent... Fais-toi une idée, Gertrude était proche de la tombe quand on est parti, alors maintenant, je crois pas qu'elle a les jambes pour te prier chaque dimanche. Mais si ça te peut rassurer, elle doit sucer des anges à l'heure qu'il est. Quant à nous, on risque de gober les cornes de Satan si on crève sur cette route pourrie. Non, mais regarde-nous ! Si Dieu avait une once d'amour, il nous foutrait pas dans ce four. D'ailleurs, s'il tient tant à nous, qu'il envoie un miracle ! Allez, demande-lui !

Alors, les yeux de Billy se plissèrent un peu plus. Devant eux, des spirales de fumée s'élevaient indéfiniment. .

— Ça doit être un barbecue ! s'écria Robert en relâchant son compagnon. Ah ah ! Tu parles d'un miracle ! Dépêche-toi, je suis sûr que ces bon samaritins nous refileront des morceaux de bœuf pour vingt-cinq cents !

— Tais-toi, imbécile. C'est pas un barbecue...

— Alors, qu'est ce que c'est ?

Des hululements strident répondirent à Robert. En quelques secondes, une dizaines d'Indiens équipés de haches les encerclèrent. Leur torse nu était recouvert de tatouages et leur chevelure désordonnées terrifia les loubards qui avaient pourtant connu bien des péripéties.

L'un des indigènes posa son regard sur Bovary, la plus vieille jument qui tenait à peine sur ses jambes. Le reflet jaunes de ses yeux se refléta sur sa hache, avant que son sang ne couvre l'objet. Alors, la lame devenue rouge-jaune se tourna vers les voyageurs.

— Surtout, dis pas de connerie, Bebert... chuchota Billy en se faisant ligoter. Ou on finira comme Bovary...

Billy et Robert ( les deux gougnafiers de l'ouest)Where stories live. Discover now