Chapitre 4 : Elwyn

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Les Souterrains l'avaient longtemps effrayée.

Quand elle était petite, alors qu'elle venait d'arriver sur une planète étrangère, sans savoir pourquoi, aux côtés d'un homme et d'une femme qu'elle connaissait à peine, elle avait l'habitude de s'enfuir, loin, le plus loin possible. Les Souterrains semblaient l'étouffer, lui couper les ailes. Pourtant, elle y était revenue. Tout ça pour une enfant qui était morte. Mais ça n'avait aucune importance. Enfin si. C'était même peut-être le plus important. Sa sœur était morte.

Lorsqu'elle était née, Elwyn avait commencé par détester cette petite fille qui ne lui attirait que des ennuis, et en grandissant, les ennuis qu'elle amenait à sa sœur n'avait fait qu'empirer, pourtant la haine avait été remplacé par ce sentiment si étrange d'amour. Et lorsqu'elle avait été en âge de comprendre certaines choses, elle avait tout fait pour protéger sa sœur. Pourtant, alors même qu'elle ne voulait que protéger sa sœur quitte à rester dans ces Souterrains putrides pour l'éternité, elle avait accepté de l'abandonner à son triste sort et de partir pour ce Complexe si grand, si propre, si oppressant. Elle n'avait pas d'amis là-bas, ou presque. Elle n'avait que des ennemis, seulement des adversaires qui ne savaient pas aimer, qui n'avaient appris que la haine et la violence alors qu'elle avait grandi bercée par l'amour de cette petite fille. C'était grâce à sa sœur qu'elle n'était pas devenue un monstre comme il y en avait tant à ses côtés. Grâce à cette petite fille si frêle et ses yeux si bleus, si beaux. Elle lui devait tout, et elle n'avait pas été capable de la protéger. Elle l'avait délaissée, l'abandonnant à son triste sort alors même qu'elle avait toujours su comment les choses se termineraient.

Ses pas résonnaient de nouveau dans les Souterrains, dans ces grottes qui puaient la mort et l'infortune, dans lesquelles tout ce qui vivait avait une espérance de vie limitée. Elle était de retour dans la ville de son enfance, une ville souterraine où rien n'allait jamais comme il fallait. Mais elle allait où il fallait qu'elle soit. Rien ne l'arrêterait. Rien ni personne. Elle avait fait son choix.

Elle entra dans la grotte où une dizaine de personnes était rassemblée devant une nouvelle tombe, une de plus dans cette grotte qui bientôt deviendrait une fosse commune. C'était ainsi que cela se passait, dans les Souterrains. On enterrait, on enterrait, puis, lorsqu'il n'y avait plus de place, on fermait la grotte pour ne la rouvrir qu'à de rares occasions pour y jeter le corps d'un être sans nom, parfois même sans visage. Les êtres des Souterrains n'avaient pas de temps à donner à ceux qui n'avaient rien. Pour être enterré dignement, il fallait le mériter. Il fallait avoir une famille, des attaches. Et quand on n'avait rien, ici, on ne survivait jamais bien longtemps.

Jusque-là, personne ne l'avait remarquée. Elle avançait lentement, sans un bruit, le pas sûr. Elle savait ce qu'elle faisait, elle savait où elle allait. Il ne lui restait plus qu'à agir.

Non. Elle ne savait pas ce qu'elle faisait. Ça n'avait aucun sens, aucun fondement, aucune raison. Mais elle n'arrivait pas à se convaincre de faire demi-tour, d'abandonner cette vengeance qui n'en était peut-être même pas une. Si elle ne pouvait pas la venger elle, peut-être pourrait-elle se venger elle-même. Ça reviendrait au même. Ça n'aurait aucun intérêt. Il vivait déjà misérablement, à quoi bon le tuer ? Mais ça ne changeait rien, elle avait perdu tout contrôle sur elle-même, sur sa colère, sur ses peurs, sur sa tristesse. Alors qu'importait que ça ne serve à rien, elle le ferait tout de même.

Elle fendit la foule d'un pas ferme, posant un regard furieux sur le fruit de sa vengeance. Il allait mourir. Il devait mourir. Ils se tournèrent tous vers elle et, la reconnaissant, tentèrent de l'arrêter. Deux d'entre eux la saisirent par les bras, la coupant dans son élan meurtrier. Elle tenta de se dégager brutalement mais elle n'arrivait à rien. Sa colère la poussait à se débattre alors même qu'elle aurait du savoir que c'était idiot et que ça ne servait à rien de se débattre ainsi dans sa position. Sa fureur, sa haine, la rendait faible. Il posa sur elle un regard moqueur.

– Ce n'est pas comme ça que tu réussiras quoi que ce soit, gamine.

Toujours ce surnom, ce foutu surnom. Elle n'était plus une gamine depuis longtemps. Elle était une tueuse. Une espionne. Et par-dessus tout, elle était furieuse. Furieuse parce que sa sœur était morte. Morte. Et que rien ne pourrait la faire revivre. Il ne lui restait plus que des souvenirs datés, flous, vagues. Il ne lui restait plus que ce sourire et ces deux yeux qui brillaient d'un si bel éclat. Et cet éclat était mort à jamais. Dorénavant, il n'y aurait plus rien, plus aucune lueur dans ces yeux bleus que la vie avait quitté. Elle avait envie de le frapper, de tout détruire, de brûler les Souterrains, ces foutus Souterrains qui s'entêtaient à tout lui prendre. Elle n'avait jamais rien choisi. Elle n'avait jamais voulu de la Terre, elle n'avait jamais voulu ce nom qu'on lui avait imposé à sa naissance, elle n'avait jamais rien voulu qui aille avec. Et elle n'avait jamais voulu de ce qui l'avait liée à cette petite fille. Elle aurait dû vivre, mais elle l'avait laissée mourir.

– Tu n'as pas changé, toujours aussi impulsive et idiote, à croire que tu peux changer le monde sans voir la vérité qui te pend à la figure. Tu n'es qu'une incapable, et lorsqu'il s'en rendra compte le Complexe te mettra à la porte et tu n'auras plus qu'à revenir pleurnicher dans les jupes de ta mère.

Elle cessa de se débattre, tentant de se recentrer. Elle devait reprendre le contrôle, arrêter de s'épuiser inutilement, et le tuer. Définitivement. Elle devait...

Elle ne devait rien du tout, et elle le savait parfaitement, mais tout au fond d'elle, une voix continuait à lui souffler qu'il devait payer la mort de l'enfant de sa vie. Parce que tous ses doutes avaient été confirmés au moment même où elle avait croisé son regard. Elle savait. Elle savait ce qu'il avait fait, ce qu'il avait osé faire. Et puisqu'elle n'avait pas su la protéger, au moins réussirait-elle à la venger. Elle le lui devait, parce qu'elle lui devait tout.

Il fit un signe de la main et les deux hommes qui la tenaient fermement la trainèrent en dehors de la grotte sans desserrer leur prise d'un iota. Elle se débattit une dernière fois, comme pour la forme avant de se laisser faire, parfaitement consciente qu'ils n'oseraient jamais faire de mal à un membre du Complexe. Elle lança un dernier regard furibond à son père avant qu'il ne disparaisse de son champ de vision. On ne pouvait pas tuer un haut-dignitaire des Souterrains aussi facilement.

Elle ne sut jamais ce qui arriva par la suite dans la grotte. A partir de ce jour, elle maudit son père sans jamais oublier son désir de vengeance qu'elle ne put assouvir.

Pas parce qu'elle n'en avait jamais eu la force, mais parce que quelqu'un d'autre s'en était chargé. Quelqu'un d'infiniment plus dangereux. 

Là où les étoiles se meurentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant