26 - Joyeux Noël, Taehyung

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Peu à peu, j'avais pris goût aux ballades sur la plage. J'aimais surtout me retrouver seul, et réfléchir. Je m'en voulais d'avoir fait souffrir mes parents, Joo-Eun et tous mes amis. Ils ne pouvaient pas comprendre ce que je traversais parce qu'ils n'étaient tout simplement pas moi.

Il faisait un froid mordant, mais j'avais apporté un bloc et un crayon. Bien emmitouflé dans mon écharpe et mon manteau, je dessinai face à la mer calme. Le soleil faisait briller la surface de l'eau comme des diamants. Je me laissai porter par mon imagination, et très vite, je créai un monde imaginaire. Il y avait Charlotte, une jeune fille mal dans sa peau, amoureuse de sa meilleure amie, et qui revêtait des tenues excentriques, entre le gothique et le punk. Pour évacuer sa colère et sa frustration, elle chantait dans un groupe de rock, sa voix cassée hurlant des paroles de rébellion adolescente. Elle détenait un petit hérisson nommé Rémy qui ne cessait de se coller à ses jambes pour y frotter ses piquants. Il y avait aussi Fluffy, son lapin hyperactif, qui courait partout dans l'appartement au point de faire hurler son père, et Iris, la fleur cantatrice qui hurlait à tue-tête toute la journée. Charlotte n'était pas malheureuse, simplement en crise. Je voulais éviter de tomber dans quelque chose de sombre et de sans espoir. Mes messages devaient garder une ligne positive, il le fallait. Pour les lecteurs, pour moi, et pour tous ceux et celles qui se sentiraient brimés dans ce monde.

Lorsque je relevai le nez, plusieurs heures après avoir commencé, j'avais déjà une dizaine de planches de créées. Je ne me voyais pas vraiment abandonner Charlotte. Je la sentais vulnérable. Que ferait-elle si je l'abandonnais ?

Chaque jour, je travaillai sur ma BD avec un acharnement viscéral. Je ne sortais que pour manger, et je me douchais à peine. En réalité, j'avais oublié que j'existais. Il n'y avait plus que Charlotte que je m'évertuais à sauver au même titre que Jungkook avait tenté de me sauver. Est-ce que c'est ce qu'il avait ressenti ?

Je réalisais alors, juste avant les vacances de Noël, que j'avais été égoïste, et qu'il ne méritait pas de souffrir. En tentant de disparaître, je ne lui rendais pas service, je ne l'épargnais pas, au contraire, j'apportais encore plus de souffrance à son existence.

Ce matin-là, la veille du retour de Jungkook, je me rendis chez Kim Namjoon avec une vision différente des choses. J'entrai dans le cabinet, et je m'installai dos à la mer et face à lui. S'il fut étonné, il n'en laissa rien paraître.

— Je crois que vous aviez raison, lâchai-je.

Il me sourit.

— Tu as compris que tu pouvais être sauvé ?

— Pas du tout.

Il se rembrunit.

— Je crois que je suis une cause perdue, et qu'il y a certainement des milliers d'autres embryons qui ont vu le jour alors qu'ils auraient dû mourir avant la naissance.

— C'est ce que tu penses de toi ?

Je grimaçai en faisant de grands gestes.

— Peu importe, nous sommes là... des milliers de personnes qui ne sont pas à leur place, inévitablement parce qu'il n'y en a aucune qui a été créée pour eux. Peut-être qu'un jour, dans des dizaines d'années, nous aurons réfléchis à quoi faire de ces gens-là, ou les mettre, dans quelle case... peut-être d'ailleurs, qu'il y aura une case pour eux, ou que tout simplement, le reste des embryons viables acceptera qu'ils soient juste « différents ».

Le docteur Kim me regardait la bouche entrouverte, et la main en suspens au-dessus de son bloc.

— Poursuis.

— Eh bien, je veux dire que je n'ai pas le droit d'abandonner. Je suis comme Will Smith dans le film « je suis une légende ».

— Pas vu, explique.

Du fard sur les yeuxWhere stories live. Discover now