Le fantôme du passé

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On devait approcher quinze heures  lorsqu'on sonna à la porte de mon studio parisien. On avait passé la journée à baiser, fumer, et faire de l'art. C'était le genre de journée ou le temps semblait être sur pause, une petite idylle au milieu d'un quotidien parfois morne. Une bouée jetée à la mer. Cela ne pouvait être que deux choses, soit le livreur de la bouffe que j'avais commandée, soit la voisine qui venait se plaindre du bruit. Jamais ça n'aurait dut être lui devant la porte. Mon géniteur. 

Je reculais un peu en l'apercevant sur le seuil, ne pouvant croire ce qui se déroulait sous mes yeux. Je ne lui avais plus adressé la parole depuis mes dix-sept ans, lui envoyant seulement un mail pour lui expliquer que je coupais les ponts avec lui. C'est pas comme si il était plus présent que ça avant. Par la suite, j'ai du changer d'adresse mail. Et de numéro. De tout en fait. J'ai changé toute ma vie pour ne plus avoir à me souvenir de lui, jusqu'à mon prénom. Je sais que ma mère avait parfois des contacts avec lui, et lui parlait de moi. Il m'a longtemps inondé de messages, s'arrangeant toujours pour que ma mère cède et lui passe mon numéro. Mais le voir devant moi, ici, maintenant, je n'y étais absolument pas prête. 

Sans que je ne puisse contrôler quoi que ce soit, mes jambes nues se mirent à trembler, et mes yeux devinrent humides. Je portais seulement le t-shirt de mon mec et un chignon mal fait, et d'un coup, je ressenti à quel point mon manque de chauffage se fit ressentir, car tout mon corps fut parcourut de frissons. Je m'étais battue toute une partie de mon adolescence pour pouvoir enfin me débarrasser de cette partie de ma vie qui me pourrissait. Alors pourquoi tout recommencer depuis le début ? 

- Je peux savoir ce que tu fous ici ? Hurlais-je, la voix enraillée. 

- Solène... 

Putain. J'en avais presque oublié sa voix. 

- Ne m'appelle pas comme ça, merde ! 

Il tenta de se rapprocher de moi mais je reculais de plus belle, manquant de m'éclater par terre si deux bras masculins ne m'avaient pas rattrapé. Il avait surement dût être alerté par les cris et se ramener. Je relevais la tête et tombais sur son expression perdue. 

- C'est qui ? 

Mon paternel le dévisagea, peut être parce qu'il n'avait pas de t-shirt, ou alors parce qu'il avait un bridge en plein milieu du pif. Ou parce qu'il s'attendait à ce qu'on soit seul, je ne sais pas. Et honnêtement, je ne vais pas chercher à savoir. 

- C'est personne. Il va partir. 

J'enfonçais mes ongles dans la paume de mes mains pour tenter de me calmer, la douleur me faisant légèrement reprendre mes esprits. Il me caressa les bras tout en continuant de toiser mon parent, devinant mon mal être. 

- Solène, je reste ton père. Tu ne peux pas stopper tout contact comme ça... 

- Je ne t'ai jamais considéré comme mon père, crachais je, les larmes dévalant mes joues. Va t'en. 

Il tenta de se rapprocher mais il  s'interposa.

- Elle a dit qu'elle voulait pas te parler, donc dégage. 

Mon géniteur grogna de mécontentement face à son manque de manière, mais obtempéra à contre cœur, surtout parce qu'il faisait une tête de moins que lui. Avant de regagner la sortie, il m'adressa la parole. 

- Quand il m'arrivera quelque chose, tu le regrettera. Je te dis ça pour ton bien. 

Lorsque la porte claqua derrière lui, j'enfonçais mon visage dans son dos ne voulant pas lui montrer une image de moi en train de sangloter comme une gamine. 

Pourquoi mon père n'agit seulement lorsqu'il est trop tard ? 

- Tu dois te dire que je suis horrible de lui infliger ça, annonçais je enfin.

- Je pense surtout que tu mérite bien plus qu'un père de ce genre. 

La tête collée contre son dos, j'entendais sa voix vibrer.

- Tu dois penser qu'il vaut mieux un père merdique que pas de père du tout. 

J'avais honte de lui avoir infligé ça alors que lui avait été privé de père depuis son enfance. 

- Non. Je pense que c'est bien que tu ais pu avoir le choix de t'en séparer. 

De longues minutes s'écoulèrent, pendant lesquelles je comptais les battements de son cœur. 

Un. 

Deux. 

Trois. 

Quatre. 

- Il va revenir. 

Cinq. 

Six. 

Sept. 

Huit. 

- Tu... Tu pourrais venir ici. Le temps que ça se calme.

Neuf.

Dix. 

Onze. 

Douze. 

- Ce serait provisoire, t'es pas vraiment obligé de quitter ton appart...

- Je veux vivre avec toi. 

Cœur inerteOnde histórias criam vida. Descubra agora