29] Révélations

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Adèle ne sait plus quoi penser de tout ça. Sa vie a été décidée par cette famille depuis toujours. Mais depuis qu'elle a rencontré Alice, elle voit les choses autrement. Cette gamine lui donne quelque chose qu'elle n'avait jusqu'ici jamais ressenti: de l'espoir.

-Alice... Je dois te parler.
-Je t'écoute...
-J'ai... J'ai été à ta place.
-Comment ça?
-Tout ce que tu as vécu. Tout ce que tu vis. Je... j'ai vécu la même chose.

Alice reste muette, mais son regard fait comprendre à la femme qu'elle attend davantage.
Adèle regarde ses mains jointes sur ses genoux, tandis qu'elle est assise sur le rebord du lit. Elle respire profondément, sachant parfaitement qu'il lui est formellement interdit de révéler ce qu'elle s'apprête à dire, et finit par continuer:

-Je suis née dans l'Usine. J'y ai grandi. Comme toi. Jusqu'à ma majorité je n'ai rien vu d'autre que ces murs de bétons. Puis je devais être vendue. C'était à l'époque de son père, lorsque celui que tu ne connais que sous le nom de « Lui » n'était même pas encore né.
-Mais... tu n'as pas été vendue...
-Non. Son père m'a dit s'être pris d'affection pour moi, il m'a dit m'avoir sauvée, et il m'a amenée ici.

L'âme d'Alice se fissure encore un peu plus. Rien n'a été vrai. Absolument rien. Tout n'a été que mensonge, depuis toujours. Elle devine aisément la suite:

-Et il t'a demandé de coucher avec des hommes...
-Oui.
-Combien de temps ça a duré?
-Je n'ai jamais eu ton courage. Je n'ai jamais pu me rebeller, j'avais trop peur, j'étais trop faible. Mais son père me faisait confiance, entièrement. Alors six ans plus tard, à la mort de sa femme, il m'a confié « Lui ». Ce petit bonhomme aux joues roses et au sourire rieur. Je continuais de voir des hommes, mais de moins en moins souvent. Et finalement, cela s'est arrêté, pour que je me consacre entièrement à cet enfant. J'étais... sa nourrice en quelque sorte.

Un silence passe. Alice regarde Adèle intensément. Adèle fixe ses mains. Puis elle a le courage de reprendre:

-A la mort de son père, lorsqu'il a repris le flambeau, j'étais la seule famille qui lui restait, mais il n'avait plus besoin de moi. Je lui ai demandé de me laisser partir.
-Et il a refusé.
-Non. Il m'y a autorisé...

La jeune femme ne s'attendait pas à ça.

-Mais... alors pourquoi es-tu là?!
-Je suis revenue, dit Adèle avec honte. J'ai découvert ce monde extérieur à presque cinquante ans... Je ne pouvais pas. On ne peut pas vivre dans un monde si différent de tout ce qu'on a connu. Je n'étais pas plus libre là-bas qu'ici.
-Pourtant... c'est toujours plus loin que l'Usine. C'est différent ici. Tu aurais pu aimer sortir dehors au moins, même pas très loin.

Adèle relève doucement les yeux vers Alice et vient prendre l'une de ses mains entre les siennes.

-Alice... écoute... Nous... nous ne sommes pas en Suisse. Ni nulle part ailleurs. Cette maison est fausse. Tout est faux. Nous sommes dans une aile de l'Usine. Aménagée spécialement pour ressembler à ça. Pour te faire croire au mieux à tout ceci et te rendre docile.

Le coeur d'Alice se crispe dans sa poitrine jusqu'à lui faire mal. Elle dégage brusquement sa main de celles d'Adèle.

-Je suis désolée de t'avoir menti! Je... je ne voulais pas te faire du mal. Mais je n'ai pas le choix. C'est mon rôle ici, ma seule utilité: m'occuper des filles.
-« Des ». Combien y en a t'il eu?
-Alice je...
-Combien?
-Je ne sais pas. Tu es la quatrième pour moi mais je sais qu'il y a d'autres « maisons » dans l'Usine, et d'autres filles comme toi. C'est un réseau et...
-Mais pourquoi?! Pourquoi fait-il ça? Il ne vend aucune filles? Tout est faux?!
-Non. Il vend la majorité des filles mêmes. Mais il en garde certaines.
-Pour les prostituer comme ça? Est-ce vraiment si rentable?
-En réalité, il ne vous prostitue pas.
-Comment ça?
-Il... il fait de vous des stars du porno.
-Qu...quoi?!
-Il vous filme à votre insu, et diffuse en direct les scènes sur internet. Voilà pourquoi c'est toujours la même heure: pour fidéliser les clients. Les hommes sont au courant bien-sûr, ils sont connus dans ce milieu pour la plupart. Il a des filles dans chaque catégorie possibles, que ce soit en terme d'origine ethnique, de corps, d'âge, de pratiques...

Alice connaissait le mot « pornographie ». Mais elle n'en comprenait pas tous les aspects, surtout pas l'intérêt. Mais elle devinait la perversion profonde derriere tout ce système.

-Et moi, je suis quelles catégories? demande-t-elle sur un ton neutre et froid.
-...Je ne sais pas tout mais... principalement « Grosse », « Gros seins », « vierge », et « viol ».

Celle qui n'a pas de nomWhere stories live. Discover now