CHAPITRE 23

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Dimanche 17 octobre 2020, 13 h 00

La troupe de survivants avançait inlassablement sur l'autoroute. Miranda estimait qu'ils arriveraient à destination avant la tombée de la nuit, à condition que le groupe suive la cadence. Si elle marchait en tête de file, en pleine forme, le reste de la compagnie avait mauvaise mine. Les regards noirs que plusieurs personnes lui avaient lancés au départ de leur refuge du fortune lui avaient appris que le réveil nocturne à la lampe-torche n'avait pas été apprécié par tout le monde. Miranda ne s'en offusqua pas. Il valait mieux prévenir que se réveiller dans l'estomac d'un légume géant carnivore.

Juste derrière elle, Rose et Blanche marchaient en silence. Miranda ne put retenir une grimace d'inquiétude à leur égard. Rose n'allait pas bien. Les yeux cernés, le dos voûté, le visage pâle, elle suivait sans un bruit. Depuis la mort de Bernard, elle n'avait pas dit un mot. La jeune femme savait qu'elle devrait tôt ou tard en discuter avec elle, une bonne fois pour toute, mais elle ne réussissait pas à dégager du temps pour la fillette. Par ailleurs, Blanche aussi l'inquiétait. Si sa sœur éprouvait au moins une tristesse importante, elle ne laissait rien paraître. Aucun sourire, aucune émotion. Se laisser aller au désespoir n'était pas une façon saine de porter le deuil, mais tout garder pour soi non plus, elle en savait quelque chose elle-même.

Miranda repoussa la pensée dans son esprit. Dès qu'elle regardait Blanche, ces derniers temps, elle avait l'impression de se regarder dans un miroir. La fillette lui ressemblait trop : froide, calculatrice, méfiante. Sa gardienne se sentait mal à l'aise en sa présence, incapable de savoir comment s'y prendre pour l'aider.

Miranda n'avait rien d'une mère. Ce rôle n'aurait jamais dû lui tomber entre les mains en premier lieu. Pourtant, elle ne se plaignait pas. Elle n'avait pas le droit de se plaindre. Elle avait fait tuer Bernard, c'était à elle et elle seule d'en assumer les conséquences. Pourtant, elle savait que si Louise était là, elle lui dirait le contraire. La mort de Bernard était accidentelle. Se mettre autant la pression pour élever deux fillettes ne ferait que la stresser plus, au risque que les conséquences de son manque d'expérience viennent leur peser sur les épaules. Mais Louise n'était pas là, et sa culpabilité bien trop grande pour faire autrement pour le moment.

Elle avala ses pensées noires, puis ralentit l'allure pour se placer entre les jumelles.

— Tout va bien ? Vous arrivez à suivre le rythme ? s'enquit-elle, pour entamer la conversation.

— J'ai mal aux jambes... pleurnicha Rose. Quand est-ce qu'on s'arrête ?

— Bientôt, promis. Encore une petite demi-heure avant la pause.

Elle ébouriffa gentiment les cheveux blanc de sa protégée, qui lui adressa un demi-sourire fatigué. Miranda se tourna ensuite vers Blanche, dans l'espoir d'avoir une réponse, en vain. Elle resta froide comme la glace, les yeux fixés sur l'horizon. La jeune femme chercha désespérément quelque chose à dire, avant de se raviser. Elle ne voulait pas la braquer. Elle ignorait en vérité si la fillette se braquerait, mais si elle était à sa place, elle le ferait. Alors elle se tut et continua d'avancer.

La jeune femme se tourna pour voir où en était le reste du groupe. Au lieu du vaste paysage en ruines, elle tomba sur deux yeux noisettes qui la firent bondir de surprise et lâcher un cri. Frédéric en fit de même, glissa sur un vieux carton au sol et tomba sur les fesses, sous les ricanements des autres survivants derrière lui. Dans une grimace, elle lui tendit la main pour l'aider à se relever, un air contrit sur le visage.

— Désolée, je n'avais pas réalisé que tu étais aussi proche.

— C'est de ma faute. Je voulais te parler, mais après, j'ai vu que tu discutais avec les petites filles, et je n'ai pas osé.

Macédoine | Roman post-apo avec des légumes géantsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant