▪︎| Chapitre 2 |▪︎

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Il est donné à peu d'hommes de saisir leur rêve dans cette vie 》

Maxime Du Camp

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▪︎| Les petits grains de sable chaud scintillent au soleil tels une mer de pierres précieuses. Le clapotis des vaguelettes s'y échouant crée une mélodie aux douces tonalités. Déposant de ci de là offrandes aux reflets nacrés et couronnes aux teintes vertes. Réalisant inlassablement une œuvre d'art éphémère qui se retire doucement pour laisser place au prochain rouleau délicat.

Le sable caressant la peau nue de mes pieds me procure toujours cette sensation inédite sur laquelle je n'arrive pas à mettre des mots. Les rayons brûlants de l'astre lumineux me mordent la nuque agréablement. L'éclat qu'ils produisent en reflétant sur l'étendue granuleuse aveugle mes iris clairs semblables à la végétation sous marine.

En cette fin de matinée bien chaleureuse, traversant tranquillement la plage privatisée de mon hôtel, je me dirige vers le port où est accosté notre yacht pour une petite journée chill au large.

Foulant les pavées de la promenade qui longe la côte, une rumeur grandissante attire mon attention. Un peu plus loin, sur la place prônant entre le port et le centre ville, un amas fourmille énergiquement. Quelque peu déconcerté de devoir franchir cette foule de touristes mouvante, je me vois déjà longer le muret pour éviter l'effusion envahissante.

Puis un son. Grave et profond. Rythme lent s'amplifiant. Tel un appel dans l'écho du vent.

C'est à ce moment précis que toutes mes certitudes volent en éclats.

Sortant de nul part, leurs voix mystérieuses s'élèvent dans l'air en harmonie pour clamer ce chant dont elles seules ont le secrets. Tant de nom pour les définir, elles qui sont présentes en tous lieux depuis la nuit des temps. Sorcières, magiciennes, chamanes, druidesses, prêtresses,guérisseuses...

Vêtues d'un amas de tissus aux textures et teintes si lointainement semblables. Leurs visages enduis d'une seconde peau aux couleurs sombres éblouissantes. Leurs têtes couvertes d'une parure aussi vivante que leurs âmes ombragées.

D'un coup, tournoyant en tout sens, leurs corps comme une seule entité, elles se regroupent. Formant un cercle impénétrable, elles y font naître un feu. Brûlant de la même énergie, il croit tellement qu'il s'élève bien au dessus des nuages. De là haut, il fait même concurrence avec le soleil tant sa lumière transcende ardemment mon corps.

Tellement absorbé par cette flamme qui réduit en cendre mon esprit, je ne vois pas tout de suite la créature majestueuse qui s'approche lentement des profondeurs. Ce n'est que lorsque l'ombre que projette sa grandeur m'envahit que mon regard capte ses prunelles reptiliennes qui scrutent les alentours.

Un vent de panique se lève face à cette immensité aux écailles noires rougeoyantes. Et pourtant, sa magnificence impose le respect, ses ailes déployées balayant quelconque révolte. Ses longues griffes viennent crisser sur les pavés lorsque de son poids, il se déplace lourdement.

De sa gueule béante dévoilant des crocs sanguinolants, il vient attiser le feu du fond de sa gorge brûlante. Ainsi, la flamme dévastatrice vient embraser mon cœur de sa danse gracieuse, virevoltant dans le vent légèrement tel un feu follet.

Le chœur de femmes reprend, vénérant cet élément indomptable et offrant louanges innombrables à son grand protecteur. De leurs pas rythmés au son des tambours, elles m'entraînent dans leur sillage, le long de cette procession mystérieuse.

Marchand aveuglement à la suite de l'être flamboyant, mon corps vibre face aux tonalités énigmatiques tout en laissant mon âme vagabonder à leurs cotés. Le temps défile sans logique, mes pieds suivent le mouvement, obéissants. Entièrement dévoré par leur trans collective, je me noie dans ce tourbillon secret.

Dans un battement d'ailes invisible, le dragon s'envole dans l'obscurité. Sans crier gare, les voix se perdent dans le lointain. D'un claquement de doigts, le feu disparaît, laissant derrière lui la simple image de deux grenats éclatants.

Soudain le vide. Et puis la réalité.

Le brouhaha teinte à mes oreilles. Les rues apparaissent dans ma vision. La foule me frôle. Mais je ne sens plus la mer.

Tournant mon regard en tous sens, la panique me prend. Je suis perdu.

Et puis, les sourires, les couleurs, les odeurs. L'arc en ciel des tissus suspendus, le scintillement des perles tissées, la texture des tressages cotonneux. La fragrance d'un café odorant, l'odeur de l'huile entrain de frire, le parfum d'un parterre de fleurs coupées. Un amoncellement de légumes, un mélange d'épices, un fruit frais pressé dans un verre. Le tintement d'un hachoir à viande, le froissement d'un sac en papier, la voix aiguë d'un marchand.

Bercé par cette ambiance nouvelle, je me laisse porter par le flux des passants à travers les étales du marché jusque dans les rues animées. Au vu du chemin de terre remplaçant le goudron, des murs tagués d'œuvres d'art sur chaque centimètre carré, des structures délabrées bardées de taules, de toutes ces petites échoppes ambulantes à chaque coin de rue, de ces gamins qui courent pieds nus au milieu des mobylettes et des chiens errants. J'en conclu avoir atterri dans les quartiers pauvres de la ville.

Je ne pensais pas m'être éloigné tant que cela. Et malgré le fait de me retrouver seul dans un coin malfamé, je ne suis pas effrayé. Au contraire, je me sens bien ici. C'est étrange comme sentiment, d'avoir l'impression d'être chez soi au sein d'un monde à l'opposé du sien. C'est perturbant. C'est agréable.

Alors j'erre dans les ruelles, tournant sûrement en rond entre les murs fissurés et les trottoirs bancales jusqu'à ce que le soleil décline. Là, au détour d'une intersection, une voix rocailleuse m'interpelle, me faisant tressaillir jusqu'au fin fond de mes os.

- Gringo ! Qu'est-ce tu fous là tout seul ? C'est pas un coin pour toi ici l'soir

Me retournant fébrilement, je baragouine une réponse sans croiser son regard en espérant me faire oublier.

- Pardon, je me suis perdu. Je cherche le port

C'est son rire qui me répondit. Un rire franc et rauque, le genre qui te fascine de peur.

- C'est effectivement pas tout près ! T'as juste à suivre c'te rue jusqu'à la mer. En suivant la côte vers l'ouest, tu pourras pas louper le port

Soulagé d'avoir obtenu une réponse généreuse, je le remercie d'un bafouillement avant de m'enfuir presque en courant. C'est lorsque que je me trouve à plusieurs mètres déjà que je me permets un regard en arrière vers mon interlocuteur.

Je tombe alors dans deux perles rougeoyantes qui me transpercent de toute part. Frissonnant de ton mon être, je continue ma route pour retourner vers mon monde. Celui que l'on a choisi pour moi. Celui où je suis seul. Celui où le silence règne. Celui où il n'y a pas de vie.

Cette journée fascinante était elle un rêve ? Ai-je finalement la possibilité de rêver ? |▪︎

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▪︎ Soñar ▪︎Où les histoires vivent. Découvrez maintenant