▪︎| Chapitre 6 |▪︎

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Le rêve, c'est la roue libre de l'esprit 》

Pierre Reverdy

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▪︎| Le chant mélodieux d'un moineau mélangé aux cris stridents d'un macaque et le grognement d'un jaguar sur un fond sifflant de reptile. Les plumages vifs teintés d'arc en ciel, les pelages cryptiques se fondant dans le décor et les écailles luisantes au soleil. Là, esprits protecteurs de l'au-delà, animaux sacrés des cultures indigènes et créatures des civilisations anciennes cohabitent.

Sur la frappe rythmée d'une peau de cuir tendue, un flot bestial sorti tout droit des forêts mystérieuses se déverse dans les rues. A travers les passants ébahis, leurs chants s'élèvent pour transmettre un message initiatique. Partageant à l'instar des générations passées leur sagesse ou criant leur plainte au futur, leur pas résonnent à l'unisson.

Ma chimère louvoyant entre les touristes surpris et les locaux émerveillés, je me laisse envoûter par la mélodie de nos cœurs et submerger par ce brouillard où résonnent les consciences de mes partenaires. Et parmi toute, il y en a une que je discerne avec précision, comme si par d'un fil invisible, j'y étais relié. Celle avec laquelle mon âme vibre d'un même écho. Mon oiseau au plumage de feu aussi ardent que la flamme qui m'a fait renaître.

Vidé de toute force physique mais empli d'une énergie nouvelle, je laisse mon alter ego au sommeil pour retrouver mon corps engourdi et endolori par ces heures de déambulation. Heureux, sur un nuage grisant, j'erre dans le hangar tel un zombie à l'instar de mes camarades, complètement comblé par cette première participation en public.

Si un jour on m'avait dit que je me retrouverais à faire vivre une marionnette dans les rues d'Amérique latine, j'aurais sûrement rit au nez de cet effronté. Et pourtant aujourd'hui, c'est sans aucune hésitation que je recommencerai indéfiniment, quitte à faire un trait définitif sur ce luxe vide qui peuplait ma vie.

Sur la dernière ligne droite pour retrouver un atelier partiellement propre, c'est dans un coin de pénombre que deux bras viennent m'enserrer le torse. Son ton rocailleux vient se glisser près de mes tympans, engendrant un envol de petits papillons dans mon ventre.

- T'as été fabuleusement sublime

- C'est pas un peu exagéré ça ?

- Nan, vraiment. Ta prestation était extraordinaire

- Comment tu peux me le certifier alors que tu étais concentré sur tes échasses ?

- C'est juste le prolongement d'mes jambes, tu sais. J'ai pas besoin d'me concentrer pour marcher. Je peux donc observer cette jolie petite créature se trémousser à mes pieds

- Idiot !

- Dit-il en venant se blottir dans mes bras

Prenant une énorme bouffée de son odeur musquée, je profite de sa chaleur le temps que quelques minutes s'écoulent avant que sa voix ne me parvienne de nouveau.

- T'as aimé ?

- Envahir les rues de notre folie ? Oui extrêmement !

Son rire résonne dans le silence du hangar.

- Tu m'vois ravi alors ! On r'commencera ?

- J'espère bien !

Un sourire vient dévorer ses joues avant que ses lèvres ne se déposent délicatement sur les miennes dans un toucher éphémère. Mes yeux prennent un éclat insatisfait, réclamant son goût encore un peu. Ne se faisant pas prier, il vient morde à pleine bouche dans le fruit de sa convoitise, entraînant par la suite un ballet endiablé.

Un raclement de gorge surgit au loin avant qu'un « C'est pas trop tôt » ne se fasse entendre. C'est le rouge aux joues que l'on rejoint les autres autour d'un feu convivial. Ils n'ont pas mis longtemps à découvrir notre petit manège secret. Je crois que la discrétion n'est pas le fort de mon désormais compagnon.

Et comme pour officialiser la chose, c'est sur ses genoux qu'il vient me positionner avant de me tendre une bière, un sourire satisfait au coin des lèvres. Je viens alors placer ma main entre ses mèches cendrées dans une caresse tendre. Je me sens irradier de bonheur.

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Heureux comme jamais, les jours défilent tous aussi éblouissants les uns que les autres. A mes rétines sont imprimés des paysages aux couleurs éclatantes. Mes tympans eux, ont enregistré la mélodie de chaque âme rencontrée. Sur mon palet s'est déposé le goût de toutes les épices de ce pays. Mes narines elles, ont capté les fragrances de chaque fumet circulant dans l'air. Dans ma mémoire, une multitude de souvenirs s'y sont gravés, me rappelant à tout moment la joie d'avoir découvert ce qu'était le rêve.

Lorsque nous ne sommes pas les mains dans la colle et la peinture ou le corps échauffé par les répétitions, Katsuki me fait visiter des lieux toujours plus insolites les uns que les autres. Du squat artistique aux randonnées dans la jungle, je pense avoir vu en un peu moins de deux mois plus de choses que depuis ma naissance.

C'est fascinant tout ce que l'on peut apprendre lorsque l'on se mélange au peuple. On découvre le monde pour de vrai. Pas celui que nous fait miroiter les agences de voyages, mais celui qui t'initie la vie. Et tout ce qui va avec, le joli comme le laid. Mais c'est ce mélange qui nous fait grandir. Et à ses côtés, je me sens pousser des ailes.

En cette fin de soirée calme durement méritée après une répétition intense, on profite de l'air de la mer sous un coucher de soleil teintant le ciel de barba à papa. Sa main chaude vient se glisser doucement dans la mienne, harmonisant nos pas qui tracent des sillons dans le sable humide.

Non loin de la crique nous séparant de mon hôtel, il vient enrouler son corps au mien, créant cette bulle de bonheur rien qu'à nous. Son souffle caresse ma nuque et son murmure effleure mon oreille.

- Deku...

Intrigué par ce ton timide, je me retourne dans le creux de ses bras pour lui faire face. Ses yeux grenats me fixent intensément, avant que ses lèvres ne prononcent ce bout de miracle que je n'osais imaginer.

- Je t'aime, reste avec moi

Ai-je la permission de laisser l'espoir envahir la réalité ? |▪︎

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▪︎ Soñar ▪︎Onde histórias criam vida. Descubra agora