Elle s'arrête sur une branche et je la rejoins. Mon regard se fixe sur sa pupille, il s'y reflète la mienne, à l'infini, fixé sur mon propre regard. Sa main se pose sur mon torse. Je sens une étrange vibration, du bas de ma nuque jusqu'aux abords de la mâchoire et jusqu'aux profondeurs de mes poumons. Elle m'a guérie de l'eau.

   Je ne suis plus mortel face à cet élément.

   Sélène repart aussitôt. Elle rejoint la terrasse, alors que je suis encore là, à me toucher le cou pour comprendre ce qui s'est passé. Je sens comme de faibles rayures de porosité, mais rien qui ne puisse être visible.

   Je rejoins Hemingway, Sélène et le sanglier, content d'être arrivé avant moi.

   — Je rentre chez les humains, après ça, entends-je avant que mes pieds s'écrasent sur la terrasse.

   Suivant Hemingway, l'on fait le tour de l'anneau ouvert que forme le village, jusqu'à son bout. Là où les cabanes cèdent le passage au ruisseau voyageur de l'arbre-monde. De notre extrémité, on peut voir, au loin et entre les arbres et les feuilles grasses, les toits de pailles des premières cabanes de l'autre rive, de l'autre extrémité de l'anneau.

   — C'est ici, gamin.

   La dernière maison de la terrasse centrale. Elle est faite de l'arbre même qui la soutient, avec une de ces habiletés.

   Ça, c'est de la magie élémentaire.

   A l'intérieur décoré de géodes d'améthyste, je reconnais l'elfe qui parlait à Hemingway, lorsque je l'ai rencontré.

   — Nous aussi, nous souhaiterions te poser une question, petit des grands singes.

   Je regarde Sélène. Elle sait par ses pensées, comme eux par les siennes.

   De quelle question parlent-iels ?

   — Là-haut, dans les feuillages de l'Arbre-Monde, as-tu vu un ermite ?

   — Non.

Le regard de l'elfe semble s'oublier. Iels réfléchissent.

   — Y'as-tu vu les Rivages entre les ténèbres et la lumière ? Peut-être sentie ou entendu quelque chose ?

   — J'ai... j'ai entendu une sorte de chuchotement. De voix silencieuse. Mais ça n'avait l'air ni réel, ni présent.

   — La parole insonore ?

Ses pupilles se fixent sur les miennes.

   — Je ne sais pas. De qui est-ce la voix ? Demandé-je.

   — L'on pense, du Cerf Blanc. Mais toi, es-tu toujours ton toi ?

   — Dans quel sens ?

   — Te sens-tu toujours la même personne ? Dans les Arbres-Mondes, il y a des champignons anthroposymbiotiques, ils peuvent altérer l'identité et la volonté, parfois autant même qu'une fusion.

    Est-ce que je me sens toujours moi-même ? C'est une étrange question.

   — C'est surtout des parasites de l'esprit ! Grommelle Hemingway.

   — Quoiqu'il en soit, nous devons bien au petit de localiser son origine, se parle-t-elle à elle-même.

   Elle se dirige vers un bac surélevé, à terre rouge, et pose ses doigts sur la volve d'un champignon poussant sur l'écorce du mur. Elle le retire et le pose au centre du désert incarnat.

   — Dessines-y ce qui t'entoure. Retranscris l'espace qui t'encercles sur cette terre.

   Je m'attèle à la tâche. Tout autout du champignon, je grave des sillons et structure cette carte d'une seule volonté, ne laissant inchangé que les vastes limites de jungles inexplorées.

   Une fois achevé, l'elfe chuchote un court chant et dans son souffle, le mycélium prend racine et se dessine un chemin.

   — C'est celui de tes déplacements passés. Il remonte jusqu'à ton origine.

   Il cesse à l'Ouest, loin dans l'inconnu. Chez les humains.

   — Hemingway, je veux rentrer avec toi.

   — Arrête, gamin, qui t'as dit que j'accepterais.

   — Je ferais en sorte de ne rien te coûter.

   Il me toise.

   — D'accord.

   — C'est Bien, tu fais des choses gratuitement, à présent, remarque l'elfe.

   — Pas gratuit, au plaisir de faire plaisir.

   Sur ces mots, il tire légèrement sur la tête d'ours qui lui sert de capuche, comme pour lui faire une discrète révérence.

   — Allez, on y va.

   — J'aimerais aller voir le Lapin Blanc, une dernière fois, avant de partir.

   — Vas-y, mais revient vite, parce que je ne t'attends pas et ils n'ont pas de cloches dans leurs villages pour te donner l'heure.

   Leurs heures humaines, j'ai du mal avec cette façon de compter le temps. Je ne comprends pas pourquoi ils veulent découper le jour et la nuit, le sommeil et l'éveil, surtout aussi précisément et systématiquement. Qu'importe, il faut juste que je sois revenu avant un truc.

   — C'est quoi cette histoire de lapin blanc ? Entends-je Hemingway demander derrière moi, alors que je sors de la demeure de l'elfe.

   — Il le poursuit depuis qu'on le connait. On estime que c'est un résidu de quand il était gorille, Sélène ne nous en as pas partagé davantage.

   Je m'en vais et rejoins la liane démesurée que j'ai trouvée et accrochée de la terrasse du soleil levant jusqu'à un arbre, plus proche des rivages de sable. J'arrache un morceau à une autre liane en chemin et l'utilise pour glisser le long de celle qui me supporte, sans me brûler les mains.

   Je traverse comme un esprit l'océan de la jungle, fendant ses feuillages en deux et jaillissant hors de l'ombre de l'arbre-monde. Je continue à pied. J'aperçois les premières lueurs de sable et d'eau. Je cours, jusqu'à ces rivages et je m'écroule sur sa plage.

   Le sable est doux, le vent salé.

   Le Lapin Blanc est là.

   Mon plus ancien ami.

   Je me repose sur un petit mont ensablé, rogné par les herbes, et l'admire, entourée par cette grande baie.

   — Tu penses qu'un soir je trouverais mon nom ?

   Aucune réponse ne se fait ouïr. Mais j'entends quelque chose d'autre. Comme quelque chose qui glisserait hors de l'eau, de ses flots et de son obscurité.

   J'entends comme un frémissement d'écailles.

   Je sens une odeur.

   Cette odeur.

   Je me sens...  

L'enfant de la Jungleजहाँ कहानियाँ रहती हैं। अभी खोजें