CHAPITRE 3

314 64 34
                                    

Ce n'est pas grave si Ilyès ne m'a pas adressé le moindre coup d'œil ce matin. Ce n'est pas si grave s'il fait exprès de m'ignorer, alors même que je passe sous son nez pendant la récréation.

Ma gorge se noue. Non, ce n'est pas grave.

— C'est un connard, laisse-le ! gronde Sohan. Tu mérites bien mieux que lui.

La colère et la rancœur se battent en duel. Ma fierté est encore debout, me hurle de le laisser tomber, de laisser la haine prendre le dessus sur l'amour. Pourtant, je tique quand mon meilleur ami l'insulte. Une petite voix me souffle qu'Ilyès ne m'a rien promis hier soir, je me suis fait des films tout seul. C'est de ma faute.

Trouver quelqu'un d'autre n'est pas une option, je n'arrive pas à me voir totalement libre. Une pause, c'est censé se terminer à un moment donné, non ?

— Sacha !

Je détourne les yeux de celui qui me rend fou et me décompose devant la mine soucieuse de Sohan. Ai-je l'air aussi pitoyable ? J'ai mal au cœur. J'ai envie de chialer. Tout à coup, je ne me sens plus capable d'affronter cette journée. Les cours. Le boulot. Je suis épuisé.

— Désolé ! Ça va aller, il faut juste que...

Je laisse ma phrase en suspens, comme si mon meilleur ami comprenait parfaitement, alors que moi-même je ne sais pas « ce qu'il faut ».

— Regarde, c'est lui !

Je jette un coup d'œil intrigué aux deux filles qui me regardent en pensant avoir été discrètes. Elles rougissent aussitôt et passent leur chemin. Ce sentiment persiste depuis ce matin : ma nuque brûle, mon dos picote et je ne sais plus quoi faire de mes bras. Les yeux se braquent sur moi trop souvent, les chuchotements m'accompagnent dans les couloirs. Il n'est que dix heures et quart et j'ai la sensation que depuis la première heure de cours, un projecteur est braqué sur ma tête.

Je me tourne vers Sohan, à la fois alarmé et suppliant. Et si quelqu'un avait vu Ilyès me rendre visite hier soir ? Je ne sais pas dans quel état il a fini sa soirée, mais entre l'alcool et la drogue... Et s'il avait parlé ? Si mon homosexualité venait à se savoir, ce lycée deviendrait un enfer. Mon lieu de travail également. Et mon quartier... Mon sang se glace dans mes veines. Ici, se cacher n'est pas une option.

Sohan n'a pas le temps de les rattraper. Notre professeur de mathématiques ouvre la salle et nous invite à entrer. Je prends place dans une rangée au milieu, appuyé contre le mur décrépi. La peinture est écaillée, une tache d'humidité s'est formée dans un angle et le carrelage est fendu. Tout mon corps se tend lorsque je croise le regard de Sophie. À côté d'elle, Lola fixe son téléphone, puis lève les yeux dans ma direction, bouche bée.

— Éteignez vos téléphones et rangez-les, ordonne monsieur Amar.

Aussitôt, les voix se taisent, les cahiers et les trousses sont sorties. Il est un des rares professeurs à exercer une autorité naturelle sur ses élèves. Peut-être est-ce dû à ses presque deux mètres et sa carrure imposante ? En tout cas, un regard suffit à calmer les plus téméraires. Pourtant, malgré son côté strict et intransigeant, il reste juste. C'est probablement lui qui nous traite le plus comme les futurs adultes que nous sommes. C'est sûrement cela qui nous donne envie de nous conduire comme tel.

Heureusement, je n'ai aucune difficulté en mathématiques. C'est ce qui me permet de suivre le cours, alors même que mon esprit s'égare ailleurs. Est-ce que quelque chose circule à mon sujet ? Une rumeur ? Un message ? Ou pire : une photo ?

Ma nuque picote sous leurs regards en biais. Je peux presque sentir leurs cerveaux chauffer, leur excitation.

Deux coups sont toqués contre la porte. Presque aussitôt, une assistante d'éducation entre et balaye la salle du regard, avant de s'arrêter sur moi.

Une cuillère et demie de chocolat en poudreWhere stories live. Discover now