CHAPITRE 1

429 61 70
                                    

 Le cœur déchiré, mais qui palpite un peu plus que d'habitude. Peut-être un peu follement, peut-être encore un peu guimauve. Une pointe d'espoir l'anime, comme à chaque fois qu'il entre dans mon champ de vision. Je sais que c'est ridicule, même un peu pathétique, pourtant ça ne se contrôle pas. Ça ? Des miettes d'amour, ou du moins ce que je n'arrive pas à ignorer.

La main droite d'Ilyès tremble de froid quand il porte à ses lèvres une cigarette presque entièrement consumée, la seconde a trouvé refuge dans son vieux blouson aviateur, dont le col autrefois blanc est désormais grisâtre. Le cuir marron est craquelé par endroit, mais son propriétaire en est fier. Cette pièce d'un autre temps n'attendait que lui dans cette boutique de vêtements d'occasion, il faut dire qu'il la porte bien, avec son teint halé et son regard noir, avec ce genre qu'il se donne.

Mes paupières se ferment brièvement et l'écusson de pirate apposé au-dessus de son pectoral continue de flotter sur l'écran noir. Ce souvenir-là est désormais teinté de tristesse, lui aussi. Les couleurs sont fanées lorsque la scène se rejoue. Je le lui avais offert en cadeau pour son seizième anniversaire, un bien maigre présent mais qui, à cette époque, l'avait rendu si heureux. C'est également la seule et unique fois où il m'a laissé enfiler son blouson, me couvant d'un regard empli de tendresse et d'une fierté qui m'avait fait rougir. Aujourd'hui, ces nuances s'estompent dans mes souvenirs, elles ne sont plus aussi justes. Peut-être les ai-je rêvé ?

Ses yeux d'encre se lèvent dans ma direction et j'esquisse un étrange sourire tremblant. Mes doigts se contractent, prêts à exécuter un geste probablement idiot pour le saluer mais, par chance, Ilyès détourne le regard avant de me trouver trop ridicule.

Une pause.

Il a besoin d'une pause dans notre histoire et je ne peux que la lui accorder. Je lui ai promis de lui laisser l'espace suffisant pour réfléchir, pour se recentrer sur lui, profiter. Il vient d'avoir dix-huit ans et notre histoire a commencé à la fin du collège. Une envie de connaître autre chose, qu'il dit. Presque trois ans à nous aimer à l'abri des regards, à construire des petits bouts de quelque chose. Il a ouvert une parenthèse dans notre histoire pour vivre sa vie de jeune adulte, pour ne pas avoir de regret ni de compte à rendre, pour faire ce qu'il lui plaît, sans attache.

Combien de temps est censé durer une pause ? Quelques semaines ? Mois ? Années ? La gorge nouée, je baisse les yeux sur mes vieilles baskets usées. L'attente pèse de plus en plus, la douleur ne disparaît jamais vraiment. Mais qu'importe, j'attends un signe. J'attends qu'il ferme cette parenthèse afin que nous puissions retrouver nos moments.

— Elle te voulait quoi, Morin ?

Sohan apparaît à mes côtés, les sourcils froncés. Ses yeux voguent d'Ilyès à moi et je sais ce qu'il pense, même s'il pince les lèvres pour retenir ses mots. Il se fout de ta gueule. Voilà ce que pense mon meilleur ami. Trois mois de silence radio, c'est long.

— Elle m'a donné des infos sur les bourses, pour l'année prochaine. Elle me fera une lettre de recommandation aussi, si mes notes ne bougent pas, quelque chose du genre.

— Cool.

— Ouais.

Je lui emboîte le pas tandis qu'il commence à s'éloigner du lycée. La question de nos études supérieures a toujours été taboue. Il a renoncé à son rêve depuis un moment déjà et a pris sa décision : ses études s'arrêteront après le bac et il travaillera pour son père, dans son club de boxe.

Moi, je continue avec mes rêves démesurément grands. Astronome, rien que ça. Je suis des yeux la buée qui s'échappe de mes lèvres et s'envole en direction du ciel qui commence à s'obscurcir. Là, derrière la pollution, se cachent les étoiles et tous les secrets que je brûle de découvrir. Pas question de rester ici, entouré de béton, de nuages de fumée et de violence.

Une cuillère et demie de chocolat en poudreWhere stories live. Discover now