40. Zabillet, avril 1428

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Église Saint Rémy

Mengette, intimidée, rajuste son foulard sur son front pour bien y dissimuler toutes ses mèches de cheveux. D'une révérence, elle prend congé comme si elle prenait la fuite. Zabillet pousse un soupir d'ennui. Elle a suivi Jehan jusqu'à l'intérieur de l'église, déserte à cette heure. Ils s'étaient installés sur un banc non loin du confessionnal, comme pour mieux marquer leurs intentions. Le père Jehan avait fait appeler les témoins par l'un de ses deux acolytes, le chauve dont Zabillet ne connaît pas le nom.

Le prêtre a déjà fait venir Hauviette, qui n'a pu que bégayer quelques histoires enfantines sans même tenter de celer sa jalousie : il n'y a que Jehannette qui ait droit à une éducation, et c'est la favorite du marguillier, et tous les garçons la regardent... Assis bien droit dans sa soutane boutonnée jusqu'au col, le prêtre a fait semblant d'écouter la petite sotte, jusqu'à ce dernier point. Penché en avant, il lui a soudainement pris les mains, et l'a enjoint à continuer. 

Hauviette a alors enchaîné les médisances et les anecdotes insolites sur sa fille, la poitrine gonflée de ce tout nouveau sentiment d'importance. Elle avait affirmé l'avoir vue embrasser Richard : tous deux s'étant apparemment dissimulés dans une ruelle, Hauviette ayant reconnu les longs cheveux bruns de Jehannette malgré leurs efforts pour se dissimuler aux regards.

Après qu'elle eut été partie, Zabillet fut tentée de rectifier ces allégations auprès du prêtre, mais leur prochaine cible, Mengette, était arrivée trop vite. Et surtout, la seconde damoiselle avait confirmé certaines de ces fables, en particulier les histoires sur Richard. Les dates, approximatives, et notamment les lieux, concordaient parfaitement. À croire que les deux pestes s'étaient concertées avant ! Mengette alla jusqu'à prétendre que Jehannette l'ait traitée de menteuse puis l'ait menacé de mettre fin à leur amitié si elle s'essayait à parler à quiconque de la relation entre elle et Richard.

Jehan se trouve maintenant seul avec Zabillet dans l'église. Couché sous la table, le chien noir bat de la queue, impatient, tandis que Jehan garde une immobilité impassible. Zabillet en a les nerfs qui chatouillent. Elle brise enfin le silence :

— Eh bien, mon père... moultes sottises, pour peu de faits.

Jehan ne lui accorde qu'un faible grognement, perdu dans ses pensées. Il semble un peu déçu – pourtant, ils n'ont rien découvert d'incriminant. Jehannette paraît blanche de tout péché. À moins qu'il n'ait prêté quelconque importance à ces histoires d'adolescents, d'attentions déplacées, de bruits derrière une porte ?

— Père Jehan, Dieu vous doit bon jour.

— Dieu te garde du mal, Catherine. Assieds-toi donc avec nous !

Sa fille cadette s'approche de leur banc, ses pas résonnant bruyamment sous les hautes voutes de la bâtisse déserte. Elle retire sa cape et s'assied à côté de sa mère, tout sourire. Elle ne parait pas surprise de se voir appelée aux côtés du prêtre. Zabillet regarde ce dernier d'un air incertain, mais il ne lui renvoie qu'un sourire assuré pour toute réponse. Il ne va tout de même pas interroger ma propre fillotte ?

Catherine paraît tout à son aise et même lorsque Jehan commence à lui poser des questions sur son enfance, elle ne réclame pas de raison particulière pour justifier de cet étrange examen.

— Nous nous sommes toujours disputé Richard, avec Jojo – enfin, Jehannette. C'est que c'est elle qu'il a toujours préférée, jusqu'à son départ pour le monastère.

Zabillet jette un regard noir à sa fille, espérant lui interdire d'en dire plus. Cette dernière continue néanmoins :

— Nous nous sommes toujours disputé notre place, notre but dans cette vie. J'imagine que vous connaissez bien, mon père, la prophétie de Lorraine ?

— La pucelle des marches de Lorraine, salvatrice de la France... marmonne le prêtre, les yeux plongés dans ceux de Catherine, ignorant l'expression colérique de Zabillet entre leurs deux visages.

La damoiselle attrape puis serre doucement la main de sa mère, d'un geste rassurant. Zabillet se raidit imperceptiblement en attente de la réplique de sa cadette. Elle a la fâcheuse habitude de chercher à se faire pardonner d'avance. Jehan va finir pas m'interdire de les marier, ces deux-là, avec leurs ambitions démesurées !

— Nous nous sommes toujours demandé laquelle de nous deux pourrait bien correspondre à la pucelle de la prophétie de Lorraine. Autant faut-il encore être pucelle !

L'Aimant - Laurasia IWhere stories live. Discover now