Hadrien

Sylvain 3

J'avais proposé à Sylvain de m'appeler, pendant la semaine, en cas de besoin. Je lui ai quand même conseillé de se désintoxiquer brutalement des réseaux sociaux et de ne plus se montrer nu en cam pour faire ses shows. J'ai une petite idée de la difficulté de ce genre de changement, c'est radical. Pourtant, je n'ai reçu aucun appel. Alors je ne sais pas s'il y est arrivé, s'il a abandonné et continué à diffuser, je vais le découvrir aujourd'hui. Il prend place sur le canapé pendant que je prépare son café.

– Comment allez-vous !

– Beaucoup mieux.

Voilà qui est encourageant, j'ai peut-être encore réussi à aider quelqu'un.

– Vous n'avez pas eu besoin de moi pendant cette semaine.

– J'avoue que j'ai plusieurs fois eu envie de vous appeler. Mais il fallait que j'affronte les choses seul. Je voulais être fort, et réussir sans personne.

– D'accord.

– En fait, le soir même, je veux dire après notre séance, je me suis surpris en train d'installer tout le matériel pour diffuser en direct. Soudain, je me suis regardé, un peu comme si j'avais pu m'extraire de mon corps. Et là, je me suis rendu compte que j'étais pathétique.

– Développez.

– J'ai observé ma chambre. Je me suis presque mis à rire. On aurait vraiment dit un studio d'enregistrement de films pornos. La webcam, la lampe pour bien éclairer la scène et tout le matériel.

– Comme quoi ?

J'ai vu ses vidéos, je sais ce qu'il utilise. Mais une séance est l'occasion de verbaliser les choses, de poser des mots sur ce qu'on a dans la tête.

– Des godes, du lubrifiant, d'autres sex toys... J'en ai claqué du fric dans ces choses.

– Vous avez tout arrêté.

– En fait, oui. Ce soir-là, je n'ai pas diffusé. Je me suis collé devant la télé, pour regarder une série et je me sentais bien. Enfin pas vraiment, il y avait un grand vide.

– Vous avez pris l'habitude de passer vos soirées devant la webcam.

– De dix-neuf heures à plus de minuit. Et là, pour la première fois depuis longtemps, je me retrouvais à ne rien faire.

Parce que regarder une série équivaut effectivement à ne rien faire.

– Je pensais que ce serait plus difficile, mais tout allait bien. Je faisais enfin une pause et j'étais content.

– Vous ne vous êtes pas du tout connecté aux réseaux.

– Non, j'ai posé mon smartphone sur la table basse et j'ai surtout évité d'aller sur Twitter. Là j'aurais sûrement eu des messages de mes habitués qui m'auraient poussé à diffuser et je sais que je n'aurais pas résisté.

– Vos habitués...

J'appuie sur le terme, parce que je sens qu'il est prêt à comprendre.

– Vous remarquez aussi. Je parle comme un prostitué.

– Développez.

Encore une fois, je ne suis pas idiot, j'ai compris, mais il faut que lui le dise pour que ce soit profitable.

– Je fais ça pour le fric. J'exhibe mon corps pour gagner de l'argent. Je vends mon corps !

– Vous en avez pris conscience tout de suite ?

– Non, et je n'y avais jamais pensé. La prostitution, on imagine que c'est seulement quand il y a un échange physique. Je ne fais pas payer les mecs qui viennent pour un plan.