Lumières & Origines : I - L'autre côté du Temps

Chapitre 0 - Qualias

Musique : Shenmue - Earth and Sea (Remix) Extended

Dorénavant ils ne formaient qu'une seule enveloppe charnelle, mais deux consciences bien distinctes pour le meilleur comme pour le pire. La lueur tamisée des hauts lustres illuminait les dorures de leur masque métallique. Ils sillonnaient les interminables couloirs de ce lieu interdit, ralentis par la délicate et robuste armure recouvrant leur corps.

Une immense sphère de feu blanc déferla subitement vers eux, éclairant les fines boucles ébène au coin de leur visage. Leur bras se dressa face au projectile. Un portail spatial émergea alors devant leur main, engloutissant les flammes. Quelques secondes plus tard, celles-ci en ressortirent pour fondre dans la direction opposée et dévorer l'ennemi.

« Quelle plaie ! Cette Qualia était la dernière ! Nous n'avons eu aucune difficulté jusqu'ici et voilà que les gardes façonnés par Père s'éveillent ! »

« On n'a pas le temps de discuter. Continue à m'envoyer les coordonnées du passage, ou on aura fait tout ça pour rien ! »

L'esprit s'exécuta, mais d'innombrables sentinelles étaient à leurs trousses ! L'agitation accentuait leur angoisse. Ils s'engagèrent alors dans un escalier. D'immenses fenêtres donnant une vue imprenable sur la galaxie ornaient les murs d'albâtre. D'infinies planètes et étoiles rayonnantes enrichissaient les ténèbres cosmiques. L'heure n'était malheureusement pas aux contemplations. L'homme auquel appartenait ce corps avait toujours rêvé d'observer un tel spectacle, mais il avait le souffle court, les mains brûlantes et le cœur au bord des lèvres.

Une fois arrivés au sommet de cette montagne de marches, ils se trouvèrent à l'orée d'une salle immense. Sans réfléchir, ils foulèrent le sol miroitant et manquèrent d'y glisser plusieurs fois. Quelques secondes suffirent à la troupe de spectres blancs pour les rejoindre. Interdiction de se retourner pour constater la catastrophe. Les cris désincarnés des factionnaires immatériels pénétraient jusqu'à leur âme. Ces sons stridents, prolongés et rauques, étaient un véritable supplice, striant leur union comme les cordes dissonantes d'un instrument brisé. Le jeune homme poussa un hurlement mental.

« Mîs ! Cette douleur... je... »

« Les coordonnées arrivent, mais elles sont imprécises. Tiens bon, je t'en prie ! »

Dans la direction opposée, une seconde troupe fit son apparition ! Leur mémoire et leurs efforts seraient dévorés par le néant s'ils ne quittaient pas les lieux à temps. Cette longue et interminable quête n'aurait été qu'un gaspillage d'énergie. Ses forces l'abandonnaient, mais l'esprit qui l'habitait était résilient. Ce dernier prit le contrôle de son corps et se redressa de tout son long. Exécutant une série de gestes complexes et murmurant une formule sibylline, il fit apparaître autour d'eux un cube translucide aux reflets irisés. Les opposants reculèrent d'un pas, emplis de colère.

— Comment osez-vous me défier ?

— Mîs ! hurla l'une des sentinelles en l'interrompant. Cette folie a assez duré ! Rares sont les crimes plus odieux que le larcin de Qualias ! Ces règles s'imposent également à vous ! Cessez, ou nous agirons à l'encontre de cet homme que vous manipulez sans honte !

— Jamais !

Un murmure sourd et terrifiant parcourut alors la salle. Les gardes ne ploieraient jamais face à quiconque. Pas même lui. Quelle ironie ! Le ton s'éleva et les murs d'or tremblèrent avec férocité. Des segments marbrés quittèrent la voûte, frappant et fissurant le sol d'une violence inouïe. Leurs cris s'éclaircirent tel un orgue mêlé de crépitements électriques. Les yeux des gardiens s'embrasèrent d'un bleu profond et irréel. Ils délivrèrent alors leur puissance dans un chœur de vociférations.

« Je t'en supplie, ouvre un portail... »

— Soyez maudits pour l'éternité ! brama Mîs.

Ce cri déchirant lui arracha des larmes. Comme il aurait aimé éviter d'en arriver là ! Il claqua des doigts et une brèche naquit sous ses pieds, l'engloutissant la seconde suivante. D'immenses tornades apparurent, parsemées d'éclairs aux tons froids. Elles emportèrent les fragments muraux sur leur passage, abîmant les parois derechef et brisant les vitraux. Leur foudre, tels des hurlements de colère, grondait au sein de l'établissement galactique et provoquait un vacarme de tous les diables. Les gardiens avaient beau exprimer leur rage, les fugitifs s'étaient échappés.

Au beau milieu de la nuit, le portail se rouvrit sur une plaine luxuriante et les éjecta violemment. Ils s'écrasèrent sur l'herbe humide, et la brèche se referma aussitôt. Après un tel heurt, se relever nécessita quelques instants. Soudain, une lueur bariolée enveloppa leur corps avant de le scinder en deux silhouettes. Le jeune homme perdit son masque. Il était dorénavant vêtu d'une houppelande obscure, face à un haut spectre anthropomorphe.

— Pardonne-moi, dit-il avec compassion, en lui adressant un regard tendre.

L'ombre lui rendit la même expression. Ses deux yeux blancs et pourpres illuminèrent son visage indistinct, et pourtant, son ami y décela tout l'amour du monde.

— C'était pour la bonne cause, tu as fait de ton mieux pour m'en empêcher. Personne ne nous trouvera ici, alors soit confiant. À présent, tu peux sortir les orbes. Nous y arriverons.

Il obéit et libéra son manteau de ces lourds objets, dont la taille n'aurait jamais laissé soupçonner un tel poids. Des sphères aux couleurs vives, distinctes et envoûtantes rayonnaient sous ses yeux. Il les disposa les unes près des autres pour mieux les admirer. Le regard de l'ombre, Mîs, se porta sur l'éclat d'azur. Silencieuse, elle y posa son doigt et l'artefact mnémonique se métamorphosa en un ouvrage de la même couleur, illuminant la nuit noire.

— Je parie que ce sont les mémoires de Sara. Cet ordre te convient-il ?

— Tant que ça m'aide à comprendre pourquoi je suis là, c'est l'essentiel.