Incroyable, on parle du suicide comme de quelque chose d'anodin, il semble s'être fait à cette idée et ne pas voir à quel point ce pourrait être terrible.

– Pourquoi vous sentez-vous si mal ?

– Je pensais que vous comprendriez plus vite, c'est assez évident, il suffit de me regarder.

Le point positif est que le patient parle beaucoup. Sans doute qu'il avait besoin d'en discuter.

– Je ne vois pas.

– Je suis gros.

Il montre son ventre et le pince pour bien que je comprenne.

– Je, enfin, c'est quelque chose qui vous gêne ?

– Ça ne me posait pas de problème, jusqu'à ce que les autres...

Nous entrons peut-être enfin dans le vif du sujet. Il s'arrête en plein milieu d'une phrase, il faut que je l'encourage à continuer.

– Les autres ?

– Ils ne sont pas tendres.

– Ils vous font des remarques ?

– Porcinet, gros lard, obésito, gras du bide, estomac sur pattes... La liste est longue.

– Vous ne réagissez pas ?

– Qu'est-ce que vous voulez que je fasse ? Si encore j'avais des amis.

– Vous devez certainement en avoir.

– Aucun.

– Vous dites cela, mais...

– Je ne suis jamais invité aux fêtes d'anniversaire, on ne me propose jamais d'aller jouer au foot avec les autres après les cours, dans les contacts de mon téléphone je n'ai que les numéros des membres de ma famille, personne du lycée. Il vous faut d'autres preuves ?

– Vous aviez des amis au collège ?

– Non, je n'en ai jamais vraiment eu, je suis quelqu'un de renfermé.

– C'est vous qui pensez cela ou ce sont les autres qui ont posé ce diagnostic ?

Il détourne le regard et ne répondra pas. Je note mentalement cette réaction. Oui, mentalement parce que j'ai décidé de ne pas prendre de notes pendant une séance. Nous sommes là pour discuter, librement et je pars du principe qu'on parle moins quand l'autre consigne chacune de nos paroles, qu'il y a une trace de ce que l'on évoque.


Je laisse passer un silence, me donnant une contenance en buvant un peu de café. C'est l'utilité de proposer une boisson, pouvoir faire une pause.

– Vous, que voyez-vous dans le miroir ?

– J'évite de regarder mon reflet.

– Vraiment ?

– Je ne porte pas des vêtements amples pour rien.

– Mais, on se retrouve tous, à un moment, face à son reflet, ne serait-ce qu'en sortant de la douche.

– J'enfile tout de suite un peignoir. Je ne veux pas voir ça.

– Vous sauriez dire à quand remonte ce complexe ?

– Le surnom de porcinet me suit depuis toute ma scolarité, enfin je ne sais pas quand ça a commencé, les autres m'ont toujours considéré comme le petit gros.

– Vous aimeriez être différent.

– Évidemment, c'est quoi cette déduction nulle !

– Que faites-vous pour être différent ?

HadrienWhere stories live. Discover now