Chapitre XXX : Un pacte avec le Diable

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Dans la chambre de sa femme, M. Corvey avait renvoyé tout le monde pour quelques minutes seul avec elle. Il prit sa main et la trouva si fragile qu'il n'osa même pas serrer les doigts fins. Il avait tant besoin de la serrer contre lui et de sentir sa chaleur. Ces derniers jours avaient été glaciaux, noyés dans le blizzard. Chaque fois qu'elle avait tenté de dissiper le froid, il avait voulu la rejoindre, mais des griffes s'étaient aussitôt plantées dans son crâne. Sa mémoire lui jouait des tours, comme un puzzle dont certaines pièces auraient disparu.

Quelle folie l'avait conduit dans ce manoir ? Pourquoi avait-il choisi de s'acharner sur ces maudits documents, alors qu'il n'y avait plus rien à prouver et que tout avait sombré dans l'oubli ? Parfois, il n'était plus sûr de le savoir. Il ne savait pas non plus si c'était bien lui qui avait menacé sa femme, en haut de l'escalier.

Accablé, il posa sa tête contre le ventre arrondi et plaça la délicate main sur sa joue. Il aurait aimé réussir à trouver le sommeil ainsi (depuis combien de temps n'avait-il pas dormi ?), mais il ne fit que revoir l'instant où cette même main échouait à attraper la rambarde.

Mlle Everseau avait fermé la porte à clé, sans que les jumelles ne protestent. Elles l'accusaient silencieusement, et silencieusement elle avouait sa culpabilité. Qu'avait-elle révélé à Gabriel ? Pas besoin de chercher plus loin que les minuscules gouttes de vase sur le bas de son jupon.

- Pourquoi a-t-elle fait ça ? chuchota Alice, au cas où la préceptrice serait restée derrière la porte.

- Elle nous en veut, mais cela ne peut pas être ça, répondit Calie sur le même ton. Elle avait l'air de vouloir... protéger Gabriel.

- En l'assommant avec un chandelier ?

- En le faisant emmener loin d'ici.

Elles restèrent silencieuses pendant un moment, ne sachant que penser. Il s'était produit tant de choses, c'était comme si leur cerveau n'arrivait plus à suivre et se contentait de produire une sorte de bruit blanc. En un sens, c'était apaisant.

- Au moins, murmura Calie, il est en sécurité maintenant.

- Cela va nous aider... pas vrai ? Nous ne devrions plus nous disputer pour l'instant, fit Alice d'une petite voix.

- Je ne sais pas. Je... déteste que nous nous disputions, vraiment ! répondit Calie d'un ton étranglé. Mais je repense à ce qu'il voulait nous dire ! Et si...

- S'il avait choisi ? compléta Alice.

Elles échangèrent un long regard. Il n'y avait plus ni rancœur ni colère, ni même de la gêne. Simplement de la tristesse. C'était la plus longue brouille qu'elles aient jamais eue, ces quelques petits jours. Et ça leur semblait déjà une éternité et une belle stupidité. Ne pas se parler, ruminer dans son coin alors que, plus encore maintenant, elles avaient tant besoin l'une de l'autre. C'était si épuisant de s'en vouloir... et pour quoi ?*

- Ce n'est pas comme si nous avions tout fait pour qu'il choisisse l'une ou l'autre, murmura Calie. Il a fait son choix lui-même. Alice, quoi qu'il se passe...

- Non ! la coupa brutalement sa jumelle. Quoi qu'il se passe, justement, promettons-nous une chose. Pas de pitié. Pas de regards de commisération ou de compassion. Je peux vous voir ensemble si vous êtes heureux tous les deux, mais je te jure que je ne le supporterai pas si tu me regardes avec ces yeux-là.

- Et je peux vous voir ensemble seulement si tu me promets qu'il ne nous enlèvera jamais l'une à l'autre !

 - Qu'il essaye ! Nous avons connu pire !

Elles échangèrent un sourire, un tout petit sourire.

- Et ne t'en fais pas, je te donnerai des conseils quand ce sera à ton tour de faire ta nuit de noces, déclara Calie avec un sourire diabolique.

In MemoriamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant