Chapitre VII : Indices picturaux

34 5 12
                                    

Dès le lendemain, elles décidèrent de reprendre leurs recherches. Après l'épisode de la veille, elles étaient tiraillées par l'envie d'aller interroger d'autres gens du village, mais il y avait peu de chance pour qu'on les laisse aller sans chaperon. La tentation fut grande de mettre Clara dans la confidence. Mais Clara allait poser des questions et elles ne se sentaient pas prêtes à lui parler à cœur ouvert.

Pourtant, cela semblait être le seul moyen, car aucun des habitants ne se risquait jusqu'au manoir, ils avaient brillé par leur absence tandis que, enfermées, elles n'avaient rien de mieux à faire que de regarder aux fenêtres. Lorsque par miracle l'un d'eux était passé près du chemin menant au manoir, Alice et Calie avaient pu distinguer très nettement les gestes nerveux et l'accélération du pas. On aurait dit qu'ils surveillaient une bombe prête à exploser, guettant le moment propice pour s'enfuir.

Cette méfiance n'échappait pas non plus aux domestiques, qui s'étaient mis à jaser. Beaucoup d'entre eux étaient snob et ne voulaient rien à voir à faire avec ces bouseux superstitieux. Ils travaillaient pour une maison, sinon prestigieuse, du moins fort respectable et bien établie, ils venaient de la grande ville pour la plupart et rêvaient d'y retourner. Ceux qui venaient de la campagne étaient les plus cruels et méprisants, car ils avaient trimé dur pour faire oublier leurs modestes origines.

En réalité, beaucoup étaient mal à l'aise à l'idée de fréquenter l'unique taverne de La Combe-Vauperle, bien qu'elle soit la seule à des lieues à la ronde. Ils se sentaient épiés, surveillés. On les regardait comme des bêtes curieuses. Les jumelles eurent beau multiplier les assauts de sympathie, personne ne put leur dire quoi que ce soit d'utile. Quant à M. Giraud, le plus ancien de la domesticité, assez pour quasiment faire partie du patrimoine familial, il n'avait jamais entendu parler d'un quelconque bâtiment dans la forêt de Vauperle, ni même du manoir Corvey. Il en semblait d'ailleurs fort vexé, lui qui se glorifiait d'avoir été un confident pour plusieurs générations de maîtres.

Les jumelles se rabattirent alors sur la bibliothèque, à la recherche de chroniques, de vieux journaux datant d'une époque reculée, ou même d'un recueil de légendes locales. Peine perdue. Il n'y avait rien, absolument rien ! Certes, l'espèce de prison perdue au fin fond des bois ne ressemblait pas vraiment à une villégiature ou à un endroit touristique ; mais rien sur la famille Corvey ? Aucun écrit d'aucune sorte ? Ni sur le manoir, ni sur la forêt, ni même sur la région ? Ces gens vivaient-ils donc emmurés chez eux ?!

Elles faillirent en pleurer de frustration quand M. Corvey à son tour ne put les aider. Il avait daigné sortir de son bureau, mais à peine fût-il sorti qu'il prévoyait déjà de s'y enfermer de nouveau. Il grogna d'un air exaspéré qu'il n'avait pu retrouver que l'acte de propriété du manoir. Ce nouveau terrain sorti de nulle part l'agaçait profondément, mais il s'agissait peut-être d'une vieille possession laissée en l'état et finalement complètement abandonnée. Il voulait s'en persuader, mais l'idée qu'un mystérieux inconnu tente de se jouer de lui et de son héritage le rendait irascible. Sa femme lui avait également relaté l'incident avec le vieil homme, ce qui avait achevé de le persuader que les gens du village avaient quelque chose à voir avec cette affaire de manoir bien trop entretenu. Sagement, les jumelles n'insistèrent pas et s'éclipsèrent.

- Il ne nous reste plus qu'à fouiller le manoir de fond en comble... soupira Calie. Je ne sais même pas par où commencer. Les chambres qui sont restées fermées peut-être ? Clara doit avoir un jeu de clefs quelque part.

- L'idéal aurait été de pouvoir fouiller dans les étagères du bureau de Père, mais il ne nous laissera jamais faire, ronchonna Alice.

- Réfléchissons ! Dans quel autre endroit est-ce que nous pourrions trouver des informations sur les anciens propriétaires ?

In MemoriamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant