Chapitre XXIX : Assassin

6 0 0
                                    

Lorsque vint l'heure du dîner, non seulement Gabriel n'y était pas, mais M. Corvey en revanche l'était. Pour la première fois depuis des jours, il était présent en bout de table. Clara, en revanche, n'avait toujours pas reparu. Dans les cuisines, l'angoisse était à son comble, mais personne n'avait osé interroger le maître de maison. Le valet de pied accusait volontiers Mlle Everseau, racontant à tous ce qu'il avait vu quelques heures plus tôt avec le jeune M. d'Astembert. Bien vite, toute la cuisine bruissa du mot "sorcière".

Bien entendu, Mme Corvey et les jumelles se consumaient d'inquiétude pour Clara. Lorsque M. Corvey les tranquillisa en racontant que Gabriel était fort obligeamment parti à sa recherche, tous les domestiques échangèrent des regards alarmés. Chacun jurait que Gabriel n'était toujours pas ressorti du bureau.

N'y tenant plus, M. Giraud déclara qu'il sortirait avec la carriole et irait lui-même retrouver l'intendante. Le dîner se terminait, on n'avait plus besoin de lui. Le valet et le palefrenier décidèrent de l'accompagner.

Dans la salle à manger, l'ambiance était pesante, presque menaçante. M. Corvey ignorait toutes les questions sur son état physique et ce qui l'occupait depuis plusieurs jours. Mme Corvey, encore perturbée par leur dispute de la veille, cessa bientôt ses vaines tentatives de maintenir une conversation. Elle le voyait s'irriter lentement, comme une cocotte minute dont l'eau s'apprête à bouillir. Alice et Calie, mûes par l'inquiétude, échangèrent malgré elles des regards inquiets. Trop de choses n'allaient pas. Finalement, M. Corvey jeta sa serviette sur la table dans un geste furieux et quitta la salle à grands pas.

Mme Corvey n'y tint plus. Elle se leva à sa suite et s'efforça de le suivre dans l'escalier. Monter les marches avec son gros ventre l'essouffla en à peine quelques secondes, elle haletait en appelant son mari. Celui-ci s'arrêta comme à regret sur le palier de la bibliothèque. En le rejoignant, elle fut choquée une fois de plus en voyant à quel point il semblait vieilli. Restées dans le hall, Alice et Calie n'osaient approcher et se tenaient l'une contre l'autre.

- Je vous en prie, mon époux, supplia-t-elle, cela ne peut durer ainsi ! On dirait que vous ne supportez plus le contact avec votre propre famille ! N'avez-vous donc rien à dire pour nous rassurer ? Si vous ne voulez pas parler, au moins regardez-vous dans un miroir, vous n'êtes pas dans votre état normal !

- J'agis comme bon me semble, rétorqua-t-il entre ses dents, et vous n'avez pas à me faire des reproches sur ma santé alors que vous méprisez visiblement la vôtre ! Souhaitez-vous accoucher d'un cadavre ?!

Mme Corvey pâlit violemment. Il ne pouvait pas dire cela à la légère. Il ne savait que trop combien elle avait souffert de ses fausses couches. Les jumelles, estomaquées, ne pouvaient croire qu'il ait pu être aussi cruel.

- Comment osez-vous me dire cela ? répondit Mme Corvey, le visage rougi par les larmes qui montaient. Vous pouvez m'accuser de beaucoup de choses si cela vous fait plaisir, Henri, mais jamais, entendez-vous ! jamais je ne vous laisserai dire que je ne prends pas soin de mes enfants !

- Ah, pour sûr, vous prenez grand soin de nos filles, toujours à réclamer qu'elles restent dans vos jupes et qu'on exauce leur moindre désir ! Vous les avez pourries jusqu'à la moelle !

- Vous êtes injuste !

- J'agis comme le doit un chef de famille, rétorqua M. Corvey d'un ton froid, et à ce titre j'exige qu'elles m'obéissent ! Et vous aussi vous me devez obéissance, que cela vous paraisse juste ou non, femme !

- Et pourtant, il y a quelques semaines encore, vous me respectiez assez pour écouter mes avis. Je suis votre femme, la mère de vos enfants, la maîtresse de votre foyer, et j'exige que vous m'expliquiez à quoi rime votre comportement ! Pour cette fois, pour cette seule et unique fois, j'exige que vous me répondiez maintenant !

In MemoriamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant