Chapitre 36

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[PDV Jack]
 
       L'alcool était lourd dans l'air alors que Jack était assis à la table de la cuisine, buvant une bouteille de vodka directement à au goulot. Alors que la nourriture humaine était mauvaise pour lui, pour une raison quelconque, il était capable de supporter l'alcool. Plus que cela, il pouvait avaler des quantités presque infinies sans montrer d'effets. Il avait fallu beaucoup d'alcool pour qu'il commence à se sentir ivre. Ce n'était pas souvent qu'il sortait ses bouteilles, mais en ce moment, il en avait besoin.
 
 
       [Nom] l'excluait totalement. Deux jours s'étaient écoulés depuis l'incident fatidique, et depuis lors, elle avait refusé de lui parler. Chaque fois qu'il entrait à l'intérieur, elle se détournait et lui répétait simplement de partir. Chaque fois qu'elle le regardait, son expression était vide, creuse, pleine de douleur, d'anxiété, de colère et de tant d'émotions horribles, mais le pire était ses yeux. Ils brûlaient de haine, de petites flammes [c/e] pleines de rage et de peur fumantes.
 
 
       Ça faisait mal.
 
 
       Ça faisait putain de mal.
 
 
       Il déboucha une autre bouteille d'alcool et versa son contenu dans un bac métallique posé sur la table, regardant le liquide ambré couler comme une cascade. Il ne savait même pas ce que c'était, juste qu'il en avait beaucoup de bouteilles. Il les déboucha les unes après les autres, les vida dans le contenant et regarda le liquide ambré remplir lentement le bac. Finalement, il s'arrêta et se dirigea vers le réfrigérateur, attrapant des bocaux contenant des foies réfrigérés et les plongea dans le bac.
 
 
       Le foie était l'organe le plus touché par l'alcool. En tant que tel, Jack avait toujours trouvé magnifiquement ironique de les tremper dans de l'alcool avant de les manger. Cependant, aujourd'hui, il n'essayait pas d'être poétique. Honnêtement, il voulait juste se saouler. Il voulait oublier ce regard froid dans les yeux de [Nom], brillant dans la faible lumière de l'ampoule unique suspendue au plafond.
 
 
       Il regrettait de l'avoir laissé dans cette pièce. Cette pièce était sa salle d'opération, il y amenait parfois des victimes pour les disséquer. Augmenter sa connaissance de l'anatomie humaine et en obtenir un repas encore plus copieux. C'était le seul endroit où il avait pensé à l'emmener, le seul endroit avec les bonnes fournitures, il avait juste été tellement paniqué...
 
 
       Il n'aurait pas dû la laisser là, cependant. Il aurait dû la ramener dans sa propre chambre, la laisser dans son propre lit. Au lieu de cela, après l'opération, il l'avait laissée inconsciente sur la table pour qu'il puisse aller chercher son masque. Bien sûr que les sédatifs se dissiperaient pendant son absence, et bien sûr qu'elle ne l'écouterait pas après.
 
 
       Déchirant violemment le foie avec ses dents, il fronça les sourcils, se maudissant mentalement. Il pouvait sentir que l'alcool commençait enfin à s'installer, rendant ses pensées plus floues et chancelante. Enfin. En ce moment, il avait besoin de ce flou, de ce manque de clarté, pour juste être ivre. Il n'avait jamais pensé qu'un moment viendrait où il en aurait besoin, mais enfin, c'était arrivé. Tout cela à cause de [Nom].
 
 
       Alors qu'il buvait, un fait intéressant sur les trous de mémoire refit surface dans son esprit, un lointain souvenir de son temps à l'école de médecine. Lorsqu'une personne ivre "black-out", ce n'est pas parce qu'elle ne s'en souvient pas. Le cerveau cesse tout simplement d'enregistrer les informations. Il est physiquement impossible de se souvenir de quoi que ce soit d'un black-out, car il n'y a littéralement rien à retenir. Un fait intéressant.
 
 
       Ironiquement, ce fait était la dernière chose dont il se souviendrait du reste de la nuit.
 
 
 
[PDV lecteur]
 
       Buddy m'a dit un jour qu'il y avait deux types d'ivrognes : violents et colériques, et pleurnichard et sanglotant.
 
 
       Cependant, je n'aurais jamais cru Jack être le deuxième type.
 
 
       Je le regardais fixement en état de choc alors qu'il était assis les jambes croisées sur le sol à côté de la table, sifflant une bouteille alors qu'il sanglotait et pleurnichait à propos de "tuer" la fenêtre cassée. S'il avait eu des yeux, j'imaginais qu'ils seraient injectés de sang, mais à la place, il avait juste ces vides noirs, ses paupières tombant dessus. Même avec les quelques centimètres qui nous séparaient, je pouvais quand même sentir l'alcool dans son haleine. Je ne savais pas vraiment comment réagir à cela. Une petite partie de moi était juste un peu reconnaissante qu'il ne soit pas ivre de type A.
 
 
       "E-et j'étais juste, juste, tellement triste, effrayé-" balbutia-t-il en hoquetant. "J'veux dire, j'faisais que chasser, t'sais ? Tuer, tuer, poignarder…" Il imita maladroitement le mouvement avec la bouteille dans sa main, en faisant en verser une partie sur ses genoux. Pendant un moment, son bras resta là, mais ensuite il le laissa lentement retomber, fixant ses genoux. "P'tain, regarde, j'ai l'air d'avoir mouillé mon pantalon..."
 
 
       Il commença à rire et à secouer la tête, comme si c'était absolument hilarant. Pendant ce temps, je le regardais juste fixement en essayant de comprendre comment réagir à tout cela. Dois-je dire quelque chose à propos de lui en état d'ébriété...? "Euh, Jack...?"
 
 
       "Oh, où sont mes m'nières ?" demanda-t-il en me tendant la bouteille. Je secouai lentement la tête.
 
 
       "Euh, non merci..." Après un moment, il haussa les épaules et prit juste une autre gorgée, une partie du liquide ambré coulant sur son menton.
 
 
       "Comme t'veux." dit-il en la retirant de ses lèvres. "Bon, où j.. en 'tait ?"
 
 
       "Euh-"
 
 
       "Oh ouais ! Poignarder, poin'rder, tuer !" Il gloussa en imitant à nouveau les mouvements, versant à nouveau l'alcool sur ses genoux, bien que cette fois il ne semblait pas s'en soucier et prit juste une autre gorgée. "Alors je tue le gars, t'sais? Yay, plus de reins ! Reins, reins, reins ! Il le chanta avec une joie enfantine et gloussa. "Oh, tellement délicieux ! Reins ! Ils sont tellement BON ! J'pourrais aller chercher un rein maint'ant…" Il gloussa et secoua la tête. "J'adore les reins... Pas toi ?"
 
 
       Je le dévisageai un moment, ne sachant pas quoi répondre. "...Bien sûr...?"
 
 
       "N'est-ce pas ?" Il me sourit, mais cela s'estompa rapidement, son expression s'assombrissant alors qu'il prenait une autre gorgée. Expirant alors qu'il écartait la bouteille de ses lèvres, il fixa le sol, ses lèvres se crispant avec un froncement de sourcils. "Mais après j'ai senti que'qu' chose. Sang. Si délilicieux, prob'ment type O, si bon... Je l'voulais. J'voulais ces reins... P'ce que les reins ont un goût si bo-bon-génial... Alors j'y suis allé après, avec mon... mon... machin, c'truc piquant p'tit qui fait passer les gens nuit-nuit… » Il gloussa un peu.
 
 
       "...Aiguille ?" Devinais-je, et il sursauta et me pointa du doigt en souriant.
 
 
       "Ouais, ça !" dit-il avec un hochement de tête. "Mon aguille... J'ai sorti mon naguille. Pensant qu'je l'ferais dormir un peu…" Soudain, il éclata de rire, si soudainement et si fort que je tressaillis, tandis qu'il continuait à rire hystériquement à une blague que lui seul pouvait comprendre. Finalement, cependant, son rire s'estompa, et tout aussi soudainement qu'il avait commencé, il se termina, ponctué par une autre gorgée de la bouteille. À ce stade, il fronça les sourcils, la secouant. "P'tain. Vude."
 
 
       "... Mince." marmonnai-je sans enthousiasme. Jack la jeta de côté, me faisant grimacer alors qu'elle se brisait bruyamment contre le mur. Il ne réagi pas, cependant, il s'était juste mis sur le dos avec un soupir.
 
 
       "Alors, j'me suis mis à suvre c't'odeur de sang, et j'l'ai vu… Un grand homme costaud, avec une p'tain de main c'pé sur l'bord d'une b'teille ou un truc, j'sais pas. J'm'en fous, j' juste voulu ses reins... si bon s'bon reins..." Un léger sourire tira ses lèvres alors qu'il expirait, mais il s'estompa rapidement. "J'n'ai jamais eu c'rein pourtant... T'sais pourquoi ?" Il tourna la tête vers moi, son expression vide et creuse. J'ai juste haussé les épaules.
 
 
       "... Pas vraiment." marmonnai-je, et il soupira.
 
 
       "AlleR, [Nom], r'flechi." Soudain, il posa ses mains de chaque côté de ma tête, ce qui me glaça le sang et un frisson parcourut ma colonne vertébrale. Je voulais lui crier de lâcher prise, de lui écarter les mains, mais je n'osais pas le faire. Les ivrognes existent en deux variétés, et je ne voulais pas risquer de le rendre fou et de devenir l'autre type. Fixant mes yeux, ses yeux vides semblaient s'enfoncer dans mon âme pendant qu'il parlait. "D'qui est-ce qu'je parle ? T'le sais... T'le sais, [Nom]..."
 
 
       Mon nom s'est désarticulé dans sa bouche cette fois, à cause de son ivresse. Je savais qu'il était une cause perdue à ce stade, mais je ne pouvais pas parler. Tout ce que je pouvais faire était de le fixer, trop choqué pour répondre. Au bout d'un moment, il relâcha ma tête et s'effondra contre la table, soupirant et secouant la tête alors qu'il se tournait pour s'appuyer dessus, ne me faisant plus face. Mes épaules se sont affaissées de soulagement, seulement pour que je me fige à ses mots suivants :
 
 
       "C't'ait Buddy."
 
 
       "Quoi...?" Le mot s'échappa de ma bouche sans que je réfléchisse, si doucement que j'ai presque pensé que je ne l'avais pas dit, mais clairement, si, parce que Jack s'est soudainement mis à rire. C'était un son bas au début, doux et grave, mais il dégénéra lentement en un rire hystérique. Il a juste ri et ri, hurlant et se tenant les côtes alors que son rire résonnait et rebondissait sur les murs de béton froids.
 
 
       J'étais tellement abasourdi par le changement soudain que je ne savais pas comment réagir au début, je le regarda juste fixement en état de choc. Si je n'étais pas attaché à la table, j'essaierais de reculer, mais tout ce que je pouvais faire était de serrer mes genoux et de le regarder. Le désespoir teintait sa voix, un peu de folie, me disant que ce n'était pas un rire heureux, mais triste. Désespéré, effrayé, bouleversé, anxieux, terrifié. Alors qu'il s'inclinait, j'ai vu de la boue noire couler de son visage et sur le sol.
 
 
       Ce n'est qu'alors que j'ai tendu la main. Me déplaçant pour être à genoux, je me penchai sur le bord de la table et appuyai doucement une main sur son dos. Il m'ignora, se contentant de sangloter en fixant le sol. De temps en temps, il s'essuyait le visage, la boue noire de ses yeux scintillait et se reflétait dans la lumière terne, et collait même contre le tissu noir de sa manche. Il tourna la tête vers moi, son visage tordu de douleur et d'agonie absolues.
 
 
       "C'était tellement effrayant." murmura-t-il, sa voix sonnant comme si elle allait craquer à tout moment. "Je me suis réveillé dans l'obscurité, je ne sentais plus mes bras... Il faisait si noir... Tellement effrayant... Au bout d'un moment, j'ai même oublié à quoi ressemblait la lune..." Il s'interrompit, baissant la tête alors que d'autres "larmes" coulaient, dégoulinant sur le sol.
 
 
       Alors que je le regardais, je ne sais pas pourquoi, mais mon cœur venait de se briser. Ce type m'a ouvert, m'a pris quelque chose comme collation, et je me sentais mal pour lui. Mais d'une certaine manière, il était difficile de ne PAS l'être. J'aurai dû être sans cœur. Je savais exactement ce que Buddy lui avait fait, des choses tellement horrible que je ne le souhaiterais à personne. Buddy l'avait brisé. C'était un fait. Peu importe à quel point j'avais peur de Jack, peu importe à quel point je me mettais en colère contre lui, peu importe à quel point je le méprisais... Je ne pouvais pas rire de son agonie. Elle était trop légitime, trop justifié.
 
 
       "Jack…" Sans réfléchir, je posa une main sur son épaule et il se figa. Lentement, sa tête se tourna, fixant ma main, et il l'attrapa brusquement avec les siennes, la tenant fermement alors qu'il la frottait contre sa joue. J'ai haleté sous le choc, voulant m'éloigner, mais... je ne pouvais pas. Je le regarda juste fixement alors qu'il la tenait, sa prise se resserrant dessus alors qu'elle le berçait.
 
 
       "Parle-moi s'il te plaît." murmura-t-il, fermant les yeux avec un froncement de sourcils alors qu'il reniflait, son corps entier secoué de sanglots réprimés. Des "larmes" coulaient sur ma main, s'accrochant au tissu épais des gants, mais je pouvais encore sentir à quel point elles étaient chaudes. Je ne m'éloigna pas de lui, je le regardais juste en silence. "S'il te plaît, ne continue pas à m'ignorer, ça fait mal... tellement...! Te parler tous les jours me manque... Ça me manque tellement... Je veux te parler à nouveau... Je veux que tu souris à nouveau... Je déteste te voir me regarder comme ça... Ce n'est pas ce que je veux... S'il te plait... Arrête...! S'il te plaît..."
 
 
       Ses paupières s'entrouvrirent, de petites fentes laissant entrevoir les vides sombres au-delà d'elles, alors qu'il laissait s'échapper un petit sanglot. "S'il te plait... Ne me déteste pas..."

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⏰ Dernière mise à jour : Nov 11, 2022 ⏰

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Chains (trad.)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant