Meurtre par temps de citrouilles (1/3)

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Avant même d'arriver à l'hôtel Condor Aîmé, M. Petasse a ce que l'on pourrait appeler un pressentiment.

Ça commence avec les panneaux situés le long de la route.

Le gérant de l'hôtel a eu la bonne idée d'investir dans de magnifiques panneaux publicitaires l'aidant à se repérer, ce qui, dans ce bled, n'est pas du luxe. « La Bazouge, ses mines, son hôtel » ; « Vous êtes bientôt arrivés à l'hôtel Condor Aîmé » ; « Un peu plus loin sur la droite, et vous y êtes ». Passons sur le fait que les panneaux détonnent complètement avec le milieu rural. Le concepteur des affiches a eu la main lourde sur l'outrejaune, si bien qu'elles reflètent les phares de la Twingo de M. Petasse avec une efficacité qui lui file le mal de crâne.

Ce qui ne manque pas d'intriguer le quadragénaire, pour ne pas dire l'inquiéter, ce sont les tags qui recouvrent presque complètement chaque affiche qu'il croise au bord de la route. « C'est de la merde cet hôtel ! » ou « Fermez cet endroit » ou encore « Cessez les expériences paranormales ». Quelqu'un a même eu l'idée, sur presque chaque affiche, de raturer « Aîmé » et de remplacer le nom de l'hôtel par « Maudit ».

Hôtel Condor Maudit.

Non, ce surnom n'est pas véritablement de bon augure.

Et puis il y a l'animal qui traverse la route à toute vitesse et que M. Petasse aurait heurté violemment s'il n'avait pas pilé au dernier moment. La forme disparaît presque aussitôt hors de portée de ses phares, mais il a eu le temps d'entrapercevoir le pelage noir d'un animal qui pourrait être un chien – mais alors un gros chien.

En comparaison, les gamins habillés en fantômes, zombies ou sorcières dans la ville d'à côté avaient l'air particulièrement rassurants.

Encore heureux qu'Halloween ne puisse pas tomber un Vendredi 13.

Il arrive enfin en vue de l'hôtel.

Il enclenche son clignotant et tourne sur le parking à droite. La taille de celui-ci contraste avec celle du bâtiment principal, lequel paraît étrangement plat et étroit pour un établissement censé posséder plus de deux cents chambres.

M. Petasse sort de la voiture, attrape son sac et suit les panneaux indiquant « Réception » à travers le parking désert. Tout a l'air neuf ici, depuis l'éclairage jusqu'à l'allée couverte menant au bâtiment principal, en passant par les caméras de surveillance. M. Petasse est presque déçu. Avec tous ces avertissements qu'il a lus sur le chemin, il commençait à s'attendre à un manoir gothique.

Dans le ciel, une magnifique lune ronde éclaire un ciel dégagé, lui donnant une jolie teinte bleu foncé.

M. Petasse arrive devant une porte vitrée. Il tire la poignée et entre dans le bâtiment principal.

L'accueil est presque minuscule, et la décoration rappelle davantage un atelier de bricolage que la réception d'un hôtel trois étoiles, mais le tout est néanmoins propre. Ça sent le citron.

Une jeune femme est occupée au comptoir. En s'approchant, M. Petasse s'aperçoit qu'elle est en train de démonter un gros téléphone fixe.

– Bonsoir, mademoiselle.

Elle se redresse. À force d'être penchée, le sang lui est monté aux joues, ce qui leur donne une jolie teinte.

– Ah, bonsoir, monsieur. Désolée, je ne vous ai pas vu.

Il hoche la tête.

– Un souci de téléphone ?

– Pas exactement. Disons que je l'améliore. Je me suis dit que ce serait bien si l'on pouvait voir d'où appelaient les clients. Si on appelle du village, par exemple, je sais que ce sera pour m'inonder d'insultes.

Chroniques d'un hôtel souterrainWhere stories live. Discover now