Friends

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Le lendemain au lycée, M. Cowell, mon professeur de français, nous fait former des binômes pour un exercice de jeu de rôles destiné à nous familiariser avec la langue. Je prends le nom de Liam, et Taylor, ma partenaire, celui de Louis. On commence par discuter de nos loisirs et de nos emplois du temps, puis, une fois que le prof à l'air absorbé par les photos de fromages français qu'il est en train d'accrocher au mur et que Taylor et moi avons épuisé notre stock de vocabulaire français, elle me raconte que l'an passé, à la mi-décembre, juste avant le bal semestriel des deuxièmes années, elle aussi était nouvelle.

- Sérieusement ça craint de devoir abandonner toute son ancienne vie, dit-elle en tressant de côté une longue natte épaisse dans ses cheveux blonds.

J'acquiesce en repensant aux amis que j'ai quittés, en me demandant ce qu'ils sont en train de faire à l'heure qu'il est...

Et si je leur manque aussi.

-J'ai remarqué que tu ne parlais à personne, poursuit Taylor. Je t'ai vu assis tout à l'heure dans la cafétéria l'autre jour. C'est du suicide social tu sais ! Si tu ne fais rien tu vas finir par te griller.

-Du suicide social ?

Elle acquiesce sans interrompre son geste, en essayant de glisser ses mèches folles dans sa natte malgré toutes les barrettes qu'elle a déjà sur la tête.

- C'est mortel pour la vie sociale ! Ça conditionne le reste de ta vie de lycéen, surtout au milieu de l'année : tout le monde est déjà cliqué !

-Cliqué ?

- Ben oui, cliqué.

Ses yeux Bleus s'arrondissent légèrement, comme si ça lui faisait un choc que je ne comprenne pas son jargon, surtout que ça maintenant cinq bonnes minutes qu'on discute en anglais.

- Tout le monde a déjà choisi sa clique, m'explique-t-elle. Les gens vont te prendre pour un solitaire. Mais c'est peut-être ce que tu cherches...

- Je n'y ai pas vraiment réfléchi.

- Et bien, tu devrais. Le temps presse.

Je sens mon visage se chiffonner ; son raisonnement m'embrouille autant que son vocabulaire.

- Tu veux savoir ce que j'en pense ? ajouta-t-elle.

J'ouvre la bouche pour changer de sujet, lui parler du prochain devoir, mais Taylor n'attend pas pour me donner son avis :

- A quoi bon faire la tête à cause d'un stupide déménagement à Pétaouchnock, Massachusetts ? Ce n'est qu'à une heure et douze minutes en voiture de Boston... Bon, je te l'accorde, quand il fait beau. Moralité : Tu devrais trainer plus souvent avec Harry et moi !

Au même moment, un brun coiffé de boucles en désordre et le corps couvert de tatouages que je présume être Harry pivote sur son siège.

- On me demande?

- Harry, Niall. Niall, Harry, dit Taylor.

- Enchanté, me salut Harry avec un faux accent français. Mais tant que ça n'a pas sonné, moi c'est Jean-Claude.

Tout en roulant des yeux, Taylor informe Harry de ma « situation », non sans transformer mon statut de nouvel élève en diagnostique sociologique. D'après elle, je n'ai plus qu'une semaine à tout casser pour me débarrasser de mon étiquette de solitaire et de faire un retour en force avant d'être catalogué à vie comme "pauvre mec".

-Ne fait pas attention à elle, dit Harry, comme s'il devinait mon embarras. Elle a tendance à s'emballer un peu quand il s'agit de politique sociale.

- N'importe quoi ! répliqua Taylor en enroulant un élastique au bout de la natte qu'elle vient enfin de  terminer. Tu sais parfaitement que j'ai raison.

Harry hausse les épaules et se tourne vers moi.

-Alors, qu'est-ce que t'en dit ? Rendez-vous tous les midis à partir de demain ? propose-t-il dans un français impeccable.

- Tu es vraiment un fayot, soupire Taylor.

- Ça marche, dis-je en souriant.

Pour la première fois depuis mon arrivée ici, j'ai la conviction d'être un mec à peu près normal.

The Ghost Of My Dreams (Ziall)Where stories live. Discover now