04 : le fraisier écrasé

1 0 0
                                    

Après un long weekend, nous sommes enfin lundi et je m'apprête à revoir Marilyn dans quelques heures. Aujourd'hui, je commence les cours à treize heures et c'est une petite chance. Je suis encore chez moi, je vais bientôt partir. Avant de quitter la maison, je jette un dernier coup d'œil à mon reflet dans le miroir. Je n'ai pas trop de cernes, j'ai plutôt bonne mine. Mon carré court brun par contre ne me satisfait pas et mon épaisse frange fait des siennes. J'essaie de tout remettre en place, mais tant pis, c'est presque pire. 

Depuis que j'ai rencontré Marilyn, j'ai l'impression de me préoccuper bien plus de mon apparence qu'avant. Je pense toujours que je ne suis pas assez bien, qu'il manque quelque chose. Je vais essayer de me faire confiance, et ça se passera bien.

Je décide de passer à la boulangerie avant le lycée, car je suis un peu en avance. Marilyn m'a dit qu'elle adorait les fraises ; c'est pourquoi je prends deux petites parts de fraisier. Je pense que cela lui fera plaisir. Je souris encore en pensant à elle.

Une fois au lycée, je me dépêche de me rendre au jardin, tout en vérifiant bien que personne ne me suit. Il est midi quarante, j'ai encore pas mal de temps avant mon premier cours. Et s'il le faut, j'arriverai un peu en retard, peu importe. Depuis le deuxième jour, je frappe toujours à la porte avant d'entrer, et Marilyn sait que c'est moi.

_ Coucou Marilyn ! lui ai-je souri en l'apercevant.
_ Salut Vicky ! Je suis contente de te voir.

Le jardin est très ensoleillé, il fait chaud aujourd'hui, Marilyn porte son éternel chapeau doré. Elle est assise sur le banc en bois, sa petite boîte de pique-nique sur les genoux. On dirait qu'elle vient de finir de manger. Je m'installe à sa droite comme à mon habitude, et laisse un petit espace entre nous deux pour poser la boîte en carton rose de la boulangerie.

_ J'espère que tu n'as pas encore mangé de dessert, parce que j'en ai ramené un !
_ Oh, c'est super gentil ! Qu'est-ce que c'est ? trépigne-t-elle.
_ Je te laisse l'ouvrir.
_ Un fraisier ! J'adore ça, merci beaucoup. Par contre, j'ai l'impression que ça a un peu fondu.

Je n'y avais pas fait attention, mais la boîte avait un coin écrasé dans mon sac. Les deux morceaux de gâteau ne ressemblaient plus à grand chose, à part un tas de fraises, de crème et de génoise. Cette histoire fait rire Marilyn, c'est le principal.

_ Oh non, ai-je soupiré. Je suis déçue, il était super joli derrière la vitrine ...
_ C'est pas grave, Vicky. Tu sais, il sera écrasé aussi dans notre ventre quand on l'aura mangé.
_ T'as raison !

Soudain, je me rends compte de l'erreur à laquelle je n'aurais jamais pensé : je n'ai pas pris de cuillère. Marilyn s'en rend compte et rit de plus belle.

_ Ce n'est rien, on peut toujours partager ma fourchette. Ça te dérange ?
_ Non, ça me va ! Et toi ?
_ Pas du tout, me sourit-elle.

Elle goûte la première et me passe son couvert. Elle trouve cela délicieux et ça me fait plaisir, j'ai surtout pris ce gâteau pour elle. Je goûte à mon tour, et nous alternons ainsi un bon moment. J'adore manger et discuter avec elle, c'est si agréable. Je me sens écoutée, intéressante, je me sens si bien. Je n'ai jamais rencontré quelqu'un avec qui je m'entendais si bien. Sans trop réfléchir, je prends la boîte et la pose sur mes genoux pour me rapprocher d'elle. Marilyn ne semble même pas le remarquer, elle continue de parler de plantes et de la météo, de tout et de rien. Et moi, je la regarde, je l'écoute avec attention. 

Mais je la trouve de plus en plus sérieuse. Parfois, quand elle récite ses cours, j'ai l'impression qu'elle s'angoisse elle-même. C'est ce qu'il se passe actuellement. Pour essayer de la détendre, je prends un peu de crème fouettée sur mon doigt et lui en colle sur le bout du nez. Elle s'arrête net dans sa phrase, et ses épaules se relâchent d'un coup quand elle rit. J'aime tant son rire clair et léger, il ressemble à son jardin. Soudain, je sens son chapeau qui frôle mon front, et je me rends compte que nos visages sont vraiment proches. Je sens mes joues s'enflammer à cette idée et je vois que les siennes aussi lorsqu'elle baisse la tête. 

Je n'avais pas pris le temps de vraiment regarder ses joues roses bonbon, les fines taches de rousseur sur son petit nez à peine visibles, ses lèvres qui doivent être aussi douces qu'un nuage. Et son parfum m'envoûte chaque fois que l'on se rapproche ; elle sent bon le jasmin. Elle semble aussi scruter mon visage, ses yeux passent en revue les moindres détails. J'espère que ma frange est bien mise.

La sonnerie nous fait sursauter toutes les deux. Je n'ai pas envie de partir ...

_ C'est déjà l'heure ? soupire-t-elle. C'est passé tellement vite.
_ Oui, j'aurais aimé rester plus longtemps, dis-je en me levant à contrecœur. Je reviens demain soir. Je te laisse finir le gâteau.
_ Merci beaucoup. Bon courage pour des cours, Vicky. À demain !
_ Bon courage pour le jardin, Marilyn. 

Mon nom sur ses lèvres me fait toujours chaud au cœur. J'ai hâte de revenir demain. 

le blond jasminOù les histoires vivent. Découvrez maintenant