44. La locomotive des enfers

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— Zelyan est magnanime, annonça Lucifer sous une œillade réprobatrice de l'immortelle. Ta cité est un sanctuaire ici aussi. Toutes tes âmes peuvent la rejoindre, à condition de traverser les enfers, et cette mer.

— C'est ta définition de « magnanime » ? Zelyan n'a pas le choix, ce sont mes âmes, déclara Ereyne avant de brusquement changer de sujet, ne souhaitant pas poursuivre plus loin cette discussion. La cité est-elle fixe ou bien est-elle également un lieu changeant des royaumes ?

Lucifer confessa son ignorance. Il supposa la cité fixe de par son statut mais il ne put l'affirmer. Zelyan faisait et défaisait les règles selon ses humeurs.

— Les démons n'ont pas le droit de châtier tes âmes. Ils peuvent les enfermer dans les cages du pilier, les chasser au loin, les effrayer, mais pas les torturer. Avant nous les mettions un peu partout, tu le verras peut-être, il y a des monticules entiers de tes âmes qui traînent dans les différents royaumes. Lorsque l'Atlantide est tombée, Zelyan a eu la bonne idée d'en faire le sanctuaire de tes esprits. Depuis, tes âmes les moins perdues gagnent l'île et nous laissent en paix. Je crois que tu n'imagines pas à quel point tes humains ont pu torturer mes pauvres démons.

Ereyne croisa les bras, circonspecte, et attendit l'explication. Ses âmes, les pauvres croyants des cités sanctuaires, embêtaient des démons ? L'archange lui rétorqua qu'avoir des fantômes errants, intouchables et bruyants dans les pattes rendait le travail des employés du Malin bien plus compliqué.

— Ils n'ont aucun respect pour la masse salariale, les démons sont juste des petites mains qui font de leur mieux pour satisfaire les exigences de leur patron : moi, et Zelyan bien sûr.

— La « masse salariale » hein ?

— On les paye en coups de fouets.

Ereyne rit. Lucifer rit. Ce n'était pas chose courante en enfer.

Enfin, le pilier apparut au milieu de la caverne centrale, reliant plancher et plafond sur des centaines de mètres. A son pied une tempête faisait rage mais ni les morts ni les démons ne paraissaient s'en soucier. Partout résonnaient les cris de douleur et de souffrance tandis que le pilier s'abreuvait de toutes ces âmes châtiées pour l'éternité.

— J'espère qu'Alastor a fait des cupcakes, énonça l'archange alors qu'ils croisaient la route d'un mort qui marchait en boîtant, le reste de son bras dans l'autre main, l'air hagard. J'ai faim.

— Comment peux-tu parler de nourriture ? Grimaça Ereyne. Ce type tenait son bras tranché.

— Cela aurait pu être pire : il aurait pu tenir sa jambe, blagua Lulu. Et oui, moi j'ai faim.

Le train galopa dans la plaine, écrasant les âmes qui passaient sur les rails devant lui et s'engouffra dans l'une des ouvertures du pilier avant de s'écraser sur un tas de démons endormis à même le sol.

— Ouch ! s'exclama Ereyne vivement secouée.

La puissance de l'arrêt l'avait poussée contre la paroi de métal rouillée. Elle se redressa péniblement et observa la pièce qui fourmillait de démons. Elle appela plusieurs fois l'archange qui émergea du tas de bestioles des enfers dans lequel il avait été projeté sans ménagement.

— Un jour, grommela-t-il. Ces trucs apprendront à freiner.

— Et nous revoici au pilier soupira Ereyne en descendant du wagonnet.

Elle mit un pied au sol, puis un second, mais elle ne put faire un pas de plus : les démons étaient agenouillés, front contre terre, devant elle. Tous s'étaient inclinés devant leur reine qui ne cacha pas sa gêne. Elle les remercia et se fraya un chemin à travers la foule abaissée. Elle avait aperçu au loin ce qu'elle espérait être l'un des grands escaliers du pilier. Il ne l'emmènerait pas à la sortie mais, si Alastor était moitié moins efficace que Fitz, alors un bon bain et un lit moelleux l'attendaient dans les étages. Effectivement, les marches de pierres étaient celles escomptées. Ereyne entreprit l'ascension, Lucifer flottant derrière elle. Elle se promit, après avoir perdu le compte trois fois, qu'elle ferait installer un ascenseur car, en plus d'être innombrables, les marches de l'escalier avaient la particularité d'être inégales, autre facétie de Zelyan. Cela rendait la marche difficile, très pénible.

Essoufflée, en sueur, qui avait eu l'idée de décorer avec des cascades de lave incandescente ? L'immortelle parvint péniblement dans les étages du maître des lieux. Alastor, dans sa fastueuse tenue agrémentée de bijoux clinquants, l'y attendait avec un large sourire et une serviette blanche et douce que l'immortelle accepta avec grand plaisir.

— Mes quartiers sont-ils prêts ? demanda-t-elle au majordome des enfers.

— Tout à fait ma reine, répondit-il en s'inclinant. Bien que vos demandes ne soient pas dans les habitudes de ces nobles lieux.

Non, Ereyne ne voulait pas de vampire enfermé dans une cage en guise de plante verte. Elle aspirait à un peu de quiétude avant de reprendre son périple à travers les enfers à la recherche d'une sortie. Elle monta le dernier escalier qui la séparait de la suite diabolique, ferma la porte, puis avança vers la salle de bain. Robe, bijoux, chaussures et accessoires de coiffure tombèrent au sol au gré de ses pas. Aussi nue qu'à sa naissance, elle pénétra avec plaisir dans la grande salle de bains d'où une délicieuse odeur de fleurs s'échappait. Le bain était là, la mousse était là, les bulles flottant dans l'air étaient là, la promesse d'un instant de bonheur était là... Et Zelyan était là, barbottant dans l'eau, jouant avec un canard en plastique jaune.

— Quelle entrée ma douce ! Et quelle beauté ! s'exclama-t-il alors qu'il la dévorait du regard. Tu es un peu poussiéreuse, c'est du sable des âmes sur tes jambes ? Mais je dois avouer que la sueur qui perle sur ta poitrine te rend incroyablement attirante.

Ereyne ferma les yeux, se pinça le nez avec deux doigts, et inspira profondément alors que son compagnon sortait de l'eau et l'attirait à lui.

— Zelyan, que fais-tu ici ? demanda-t-elle alors qu'il couvrait son cou de baisers.

— Je venais aux nouvelles, j'ai cru que tu me préférais les enfers. Tu es restée en bas si longtemps.

— Serait-ce une manière zelyanesque de me dire que je t'ai manqué ? demanda Ereyne en se détachant de lui.

Elle plongea dans l'eau sans attendre de répondre, Zelyan ne se laisserait pas aller à de telles expressions de sentiments. Elle soupira de contentement, à deux doigts de l'extase alors que l'eau était merveilleusement douce puis s'immergea l'espace d'un instant. Dieu que son corps et ses cheveux avaient besoin d'un bon nettoyage. L'enfer était une agression permanente pour sa peau. Elle n'était pas faite pour souffrir sous ce ciel pourpre.

— Ma douce, dit Zelyan en la rejoignant dans la grande baignoire que l'on pouvait qualifier de piscine. Les enfers sont emplis de mille royaumes et le nombre s'accroît à chaque nouvelle idée, il te faudra l'éternité pour tout visiter.

— Je n'ai pas fait de tourisme, grogna Ereyne.

D'une main elle s'aspergeait le visage d'eau, de l'autre elle frottait sa peau abîmée. Elle s'avança vers la petite fontaine adjacente et mit sa tête sous le jet chaud. Ainsi trempée, cheveux étalés en cascade autour d'elle, Zelyan eut la vision d'une déesse de l'océan. Il n'avouerait jamais son inquiétude mais de la savoir partie explorer les enfers, avec des péchés qui plus est, ne l'avait pas rassuré. Sa douce n'était pas (encore) faite pour les enfers. Il la détailla avec une grande attention. Elle se plaignait de l'effet de l'enfer sur sa peau mais cette dernière était rayonnante. Elle avait cet éclat pur, une douceur que l'on devinait, et un doux parfum qu'il ne parvenait pas à déterminer. Il poursuivit son observation, intrigué par ce qu'il ne comprenait pas. C'était Ereyne, il en était certain, c'était bien sa douce compagne qui caressait délicatement sa chevelure blonde à présent propre et lisse, mais elle était différente. Il nagea vers elle et se redressa, sourire aux lèvres. D'une main, il caressa son flanc droit, remonta vers sa poitrine légèrement gonflée, puis son cou, et son menton. Elle lui sourit et il contempla l'étincelle née dans ses yeux. Il avait fallu aller en enfer pour découvrir les miracles.

— Qu'y a-t-il Zelyan ? demanda-t-elle alors que sa petite main douce s'était posée sur son torse bombé par l'orgueil.

— Je sais.

Il l'embrassa. 

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Merci d'avoir lu ce chapitre ! 

Bonne semaine à tous, courage pour ceux qui reprennent ! 

Axel. 

Immortels 2 : PurgatoireWhere stories live. Discover now