EPISODE 14 : A celles et ceux qui meurent trop jeunes (2)

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« C'est le fait d'un homme non formé que d'accuser les autres des malheurs dont il est lui-même l'auteur...

Celui qui a commencé de se former s'accuse lui-même...

Celui qui a achevé de se former n'accuse ni un autre ni lui-même. »


Centre hospitalier, quartiers centraux de la Cité Einstein, semaine de Liberalia :

Un silence pesant s'installe dans le groupe, que Noa brise après une bonne minute.

- Je dirai ce que j'ai vu. Je comprends les inquiétudes avec ce que Martin m'a expliqué.

- C'est vraiment si important ce que tu as vu dans le Grotte ? questionne avec anxiété Emilie en lui tenant la main.

- J'ai vu la vérité, annonce-t-il, créant un nouveau silence.

- Tiens, la modestie vient de quitter l'étage, rit Vasco avec une mise en scène.

L'Hastatis retrouve son humour partagé par tout le monde.

- Au moins, c'est original, commente Norwell.

- Pour du Noa ? questionne Martin en le fixant, avant qu'ils signent ensemble un mouvement négatif de la tête. Non, c'est normal.

- Vous prenez cela comme une blague les garçons ! s'agace la jeune femme impliquée. Mais vous mesurez bien ce qui est en jeu rassurez-moi ?

San-Suu s'exaspère de l'immaturité de ceux qui sont pourtant plus âgés qu'elle. Elle se console en voyant la tante Francine tout aussi désolée.

- Bon, calmons-nous, ce n'est pour le moment pas si essentiel, cherche à tempérer l'oncle.

- Pas essentiel, oncle Karl ? s'intéresse Noa.

- Non. La "vérité", de mon expérience, est toujours un concept à relativiser quand il s'agit du Dôme ou des humains. Tu ne peux comprendre que ce que tu sais déjà. Néanmoins, je te conseille de ne pas le dire ainsi devant le Sénat, trouve un mot moins fort peut-être.

Afin de rassurer Noa, le groupe commente les multiples carnets de Noa qui occupent toute une table d'Hôpital. Les livres ont été amenés par San-Suu et Emilie avant de connaître l'état de l'Hastatis. Accompagnées de la tante, elles restent à leur tour auprès de Noa quand les autres se placent en retrait.

- Il y a aussi un carnet tout neuf, avec gravé "Triarris Bright" dessus, explique Emilie. C'était une idée de Suu.

Attristé, Noa ne répond pas. Il sourit tant bien que mal, mais il est difficile pour le jeune garçon de feinter la joie alors qu'il prend seulement conscience qu'il ne pourra plus lire ni écrire. Il ne pourra plus voir les mers qu'il aime tellement, ni conclure l'étape du Dôme, peut-être même qu'il ne pourra pas rentrer chez lui avant un moment.

- Tu vois, ajoute Emilie vers San-Suu, mon idée d'amener un bon petit repas aurait été un meilleur cadeau tout compte fait ! ce qui entraine un léger rictus sur les différents visages.

- En parlant de manger, je vais commander un Drone-repas. Noa, il faut reprendre des forces, l'alimentation liquide depuis hier ne suffira pas pour aujourd'hui.

La tante demande à son IA de commander des repas pour tout le monde suivant les préférences enregistrées de chacun et de livrer via Drone à l'étage adéquat de l'Hôpital.

Après le repas, Karl Bright et Thomas Petra conduisent Noa Bright à l'Agora en prenant l'Hyperloop de quelques stations seulement. Francine Bright, en fonction en période d'alerte, est restée au Centre Hospitalier.

Ils sont accompagnés par Emilie, évidemment, Vasco, San-Suu et son frère Martin. Norwell est reparti fêter sa réussite avec le Professeur Ash qui l'a invité à un événement privé rassemblant Gaspard, Edgard, Karen et d'autres, seul Hermès a refusé préférant rester avec son frère Pan.

Il faut une bonne heure à Noa pour s'habituer à marcher avec le système par résonance I-R. Il tente parfois d'expliquer ses sensations. A l'image d'une cartographie éclairée par un sonar, chacune des présences et mouvements lui provoquent des ondes lumineuses.

Sur le trajet, l'inquiétude monte parmi les membres du groupe, une inquiétude qui monopolise le centre de la discussion, comme si les mots pouvaient calmer le système nerveux. A ce jeu de réassurance, le Principes Thomas ne montre pas de compétences particulières, plongeant systématiquement par ses paroles les autres membres du groupe dans une anxiété plus grande encore.

- Je maintiens que ce n'est pas à l'Agora de mener une enquête, un Principes est formé pour cela. Nous perdons du temps alors que nous n'avons aucune idée du délai restant avant une possible catastrophe énergétique et de nouvelles attaques.

- Ce qui est fâcheux Thomas, précise Karl afin de créer du lien, en plus de l'apport énergétique, c'est qu'il s'agit de la zone de stockage des banque de données des IA. C'est pour cela que les membres du Sénat débâtent tant.

- Hé bien tant mieux ! soupire San-Suu. Si on pouvait enfin vivre sans tous ces machins !

- Tu ne mesures pas ce que tu dis, là, répond offusqué l'oncle Karl. San-Suu, si l'alimentation se désactive une nouvelle fois, nous n'aurons plus aucune énergie, toute la Cité sera stoppée, et nous perdrons avec tout notre savoir-faire.

Vasco, Emilie et Martin sont surpris, choqués, quand San-Suu reste interrogative.

- Attendez, en admettant, quel est le rapport entre Noa et tout cela ?

- Voire, entre No et les disparitions, les blessés... complète le grand Vasco, que le Principes Thomas apprécie autant pour sa question qui prend en considération les vies humaines que pour son physique athlétique digne des membres de son équipe.

- Oui, quel est le rapport ? confirme Martin. Il était en pleine épreuve à l'intérieur de la Grotte quand elle s'est...

Tandis qu'ils parlent tous ensemble, Noa se sent enfermé dans un halo de sons diffus, lointains, qui le happent et le transportent loin des discussions. Les souvenirs s'imposent à lui comme un éclair qui s'abat. Il se revoit dans la KVR-n grimpant les marches, détourner son regard du premier étage avec les avatars bleus pour s'avancer en direction d'une porte de lumière.

« Vous n'avez presque plus de temps Monsieur ! Monsieur ! Maitre Bright ! » lui disait J.B., son IA, au son maximal du bracelet.

Il revoit les avatars derrière le mur qui faisaient des ombres et se murmure que les hommes se laissent peut-être le plus souvent diriger par des monstres, ou par leurs propres monstres.

- Il n'y a peut-être aucun lien, rétorque sèchement Thomas. Nous ne cherchons pas à accuser un innocent. Nous cherchons à ne pas innocenter les coupables. Il faut comprendre les événements. C'est pour ça que nous devrions le conduire immédiatement au Parlement, on se fiche complétement de la question de la suspension du titre de Triarris ou de l'état immédiat des données du Dôme secondaire.

L'oncle Karl ne cherche plus à répondre, il est habitué à la contradiction permanente des Principes, pourtant les plus disciplinés à obéir aux ordres. Il n'existe pas d'humains plus rétifs que ceux qui appliquent, et d'humains plus infidèles que ceux qui prennent discrètement la fuite.

Il regarde les Hastatis qui lui sourient. Vasco et Martin comprennent les propos de l'oncle Karl sur la proximité possible du caractère entre Gaspard et son père et le surnom partagé d'une tête bien dure. Les jeunes partagent entre eux quelques blagues là-dessus, ce qui allège la tension tandis qu'ils se rapprochent de l'enceinte de l'Agora.

NOA et la Cité Einstein [Watt'Cheers... ss contrat édition] (Saison 1)Where stories live. Discover now