I. La détective (Acte 1 - Les ennemis du royaume)

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April sentait la chaleur du mois de mai frapper sa nuque à travers la fenêtre de l'openspace dans lequel s'agitaient les quelques agents de police du bureau des homicides encore présent aujourd'hui. Elle était voutée, le regard fixé sur son écran depuis plus d'une heure, décortiquant les photos d'une scène de crime jusqu'à la migraine.

Lorsqu'elle sentit ses yeux sur le point de se fermer, elle saisit sa tasse de café pour la porter à ses lèvres. Elle était vide. Avec un soupir, April recula sa chaise et se dirigea vers la cuisine. La plupart de ses collègues étaient sur le terrain et la station était presque vide à cette heure. Son partenaire, Tyrus Jones, lui, était aussi dehors, sur la scène de crime. April était punie.

En passant devant le bureau du Capitaine Hugues, elle lança un regard de défiance à sa porte close. Elle était toujours close. Sans doute Hugues ne souhaitait-il pas que qui que ce soit sache ce qu'il s'y passait. C'est lui qui avait recruté April. A coups de mains paternalistes sur l'épaule et de regards qui se voulaient tendres mais avaient surtout le don de la crisper.

Hugues avait deux activités principales : entretenir sa liaison et entretenir sa corruption. April avait appris qu'il n'aimait entendre son avis ni sur l'un, ni sur l'autre, ni d'ailleurs sur les libertés tactiles qu'il prenait avec elle. Si elle avait su ça en arrivant, peut-être qu'elle se serait tue lorsqu'il avait décidé de poser sa main sur le bas de son dos ce jour-là. Sans doute pas ... Mais toujours était-il que Hugues avait fortement limité ses activités à partir de ce moment et qu'elle était désormais contrainte et forcée de s'asseoir tous les jours à son bureau, devant la porte du sien et de payer son insubordination par des regards lubriques et des commentaires déplacés tintés d'un fond de racisme en sus lorsqu'il concernaient la largeur de certains espaces.

Observer la vie du Capitaine Hugues était au moins distrayant, faute d'être épanouissant professionnellement. Il arrivait tous les matins un quart d'heure après elle, toujours au téléphone, rouge et essoufflé après avoir monté les quelques étages pour accéder au bureau des homicides. Il ne prenait jamais l'ascenseur. Certains disaient que sa carrière aux stups l'avait habitué à prendre soin de sa forme physique. D'autres racontaient qu'il avait repris l'exercice après avoir rencontré sa maîtresse. De toute évidence, il était impossible de savoir lesquels avaient raison. Les seconds, bien entendu.

Après être arrivé, Hugues prenait un café avec ses lieutenants, faisait quelques plaisanteries, s'informait sur les affaires en cours et donnait des conseils pour orienter les enquêtes. Ensuite, à dix heures tapantes, tous les matins, ton assistante l'appelait « Capitaine, le cabinet Goliath est en ligne pour vous ! » et Hugues disparaissait une bonne demi-heure dans son bureau.

Selon son site internet, qu'April avait visité la première fois qu'elle avait entendu ce nom, le cabinet Goliath était un cabinet d'avocats. C'est bien là d'ailleurs tout ce que disait leur site internet au-delà de vanter des partenariats avec pléthore de prestigieuses entreprises et institutions. La plupart des collègues d'April savaient qu'il ne fallait jamais entendre parler du cabinet Goliath lorsqu'ils travaillaient sur une affaire. Un coup de téléphone de Goliath et l'enquête était finie, rangée, mise au placard et profondément enterrée.

Le premier homicide sur lequel April avait travaillé en arrivant quelques mois plus tôt était celui d'une femme, agressée et laissée mourante dans un parking. Cette femme était la compagne d'un journaliste connue dans le secteur pour ses articles d'« investigation » sur la corruption du Capitole. Les preuves contre lui étaient accablantes et après quelques semaines d'enquête, la conclusion semblait évidente pour tout le monde. C'est à ce moment-là qu'un avocat du cabinet Goliath était intervenu. Ce jour-là, April était en intervention à l'extérieur, c'est Tyrus qui lui avait rapporté l'arrivée un beau matin du grand blond dans son costume impeccable. Il avait demandé à voir Hugues. Quelques minutes plus tard, il était reparti avec son client, désormais libre.

Uhuru - Le MarionnettisteWhere stories live. Discover now