La Pierre des Âmes

Chapitre 3 ~ Partie 2 ~ L'autre côté

Myra attrapa Eko et le posa au sol, avant de coller ses deux avant-bras ensemble. Si pour les autres syldes cette opération était naturelle et instinctive, elle devait se concentrer et effectuer une liste de gestes censés l'aider. Entrelaçant ses doigts, elle ferma les yeux et inspira durant cinq secondes, bloqua sa respiration durant cinq autres avant d'expirer durant cinq dernières. Elle se concentra, tentant de déceler une sensation familière dans son esprit.

Les bruits autour d'elle étaient atténués, presque effacés. Elle n'entendait plus que les battements de son cœur qui résonnaient dans tout son corps, sous sa peau pâle. Soudain, elle sentit un frémissement au milieu de son ventre. Le frémissement se répercuta dans ton son être, accroissant ses sens. Tout était un peu plus. Elle sentait une légère brise sur ses joues ramener ses cheveux en arrière. Elle sentait le froid pénétrer sous sa peau, dans ses os, conséquence inévitable de l'invisibilité. Elle sentait la chaleur timide du soleil de la fin de l'après-midi sur la peau nue de ses bras. Elle percevait absolument chaque ombre que les arbres projetaient sur son corps.

En ouvrant les yeux, elle vit que sa main était désormais translucide. Les humains ne pourraient plus la voir. Suivant son exemple, Eko avait rendu ses écailles imperceptibles. À l'œil de Myra, il ne paraissait plus noir, mais complément gris, quoique légèrement auréolé d'une brume argentée. Elle même devait être entourée d'une aura dorée, comme tous les syldes.

Priant pour qu'elle puisse contrôler ses capacités et qu'elle ne redevienne pas visible en plein milieu de la pelouse - ou pire, de la maison - Myra s'avança de nouveau vers le manoir. Arrivée à la moitié, elle se sentait bien trop exposée et elle n'avait qu'une confiance limitée en ses pouvoirs, aussi se mit-elle à courir.

Elle sentait le vent faire voler ses cheveux et siffler dans ses oreilles, distinguait la lumière du soleil au-dessus des falaises, apercevait le paysage flou sur les côtés et elle courait. Elle mit deux minutes pour parcourir la distance qui séparait le chêne de la maison, mais jamais elle n'avait été aussi soulagée d'arriver à l'abri - tout relatif - de murs. D'ici, seules les personnes passant devant les portes pouvaient la voir.

Grimaçant à l'idée de passer à travers, elle approcha sa main du bois. Sa paume le touchait et pourtant, elle ne sentait rien d'autre qu'une légère résistance. Elle fit un pas vers la porte. Sa main s'enfonça dans l'obstacle. Elle sentait des picotements, comme si des centaines de minuscules aiguilles lui attaquaient la peau. Désagréable, mais supportable. Inspirant un grand coup, elle entra dans la maison.

Il faisait noir. Elle ne savait pas où elle était, mais les aiguilles blessaient le moindre carré de peau libre. Se forçant à marcher droit, elle effectuait des pas de cinq centimètres par cinq centimètres. Ses pieds étaient lourds à soulever et il lui semblait que la matière lui opposait une résistance insoutenable. Elle aurait imaginé qu'une simple porte en bois serait moins épaisse. Et moins agressive. Pourtant, elle dut faire plusieurs pas laborieux avant de sentir de l'air frais sur sa main. Forçant ses pieds à avancer, elle sortit de la porte et tomba à genoux sur le carrelage du hall. C'était officiel, elle détestait les portes fermées.

Elle se répéta qu'aucune aiguille ne l'avait piquée et que sa peau allait très bien, aspirant de grandes goulées d'air. Eko, à ses côtés, ne semblait pas du tout perturbé par le fait qu'il venait de passer à travers un obstacle tangible. Il voletait à une dizaine de centimètres du sol, fixant sa maîtresse de ses grands yeux jaunes écarquillés. Ses ailes, d'habitude trop petites pour supporter son poids, s'agitaient en rythme. Myra lui adressa un faible sourire avant d'observer son environnement. L'homme qui lui avait ouvert n'était nulle part en vue et les lieux semblaient complètement vides de présence. Soulagée, la jeune fille se releva.