7 : Charlie aimait les happy ends

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Charlie défit les liens de Mary, ce qui n'était pas si facile que cela, à cause de ses mains tremblantes. Tout en triturant les nœuds, il surveillait du coin de l'œil les deux gangsters allongés par terre, comme s'ils allaient subitement se lever en un dernier sursaut et leur tirer dans le dos.

Enfin, les derniers liens cédèrent.

- Ça va ? Tu peux marcher ? demanda-t-il.

- C'est bon, fit Mary.

Charlie la vit éviter du regard la zone où le combat avait eu lieu. Il l'aida à se lever, la soutint durant quelques pas alors qu'ils se dirigeaient vers la petite porte par laquelle il était entré.

- Attends une seconde, fit-il.

- Charlie, non, ne me laisse pas, implora la jeune femme, qui ne pouvait pas en supporter davantage.

- Ne bouge pas, je suis là dans deux secondes !

Il se dirigea droit sur la lampe de poche que ce type avait fait tomber, cette même lampe qui lui avait été fatale, et il la ramassa. Il fouilla l'obscurité en braquant le faisceau lumineux en direction du corps. Le type semblait vraiment mort, immobile dans une mare de sang. Charlie repéra le pistolet sur le sol, et un peu plus loin, l'ours en peluche. Quelque chose lui disait qu'il aurait du mal à justifier tout cela. Comment expliquer qu'il s'en était sorti face à deux gangsters armés le menaçant, et qu'il avait réussi à abattre les deux hommes avec leur propre arme ? Il n'était qu'un professeur de physique qui ne faisait même pas de sport. Et puis, il ne pourrait pas parler de l'ourson non plus.

Il valait mieux faire comme s'ils n'étaient jamais venus là.

Charlie ramassa le pistolet et l'essuya soigneusement dans un pan de sa chemise avant de le laisser tomber près du corps. Au moment de prendre la peluche, il eut une petite hésitation : il avait eu assez de visions et d'émotions pour la journée. Mais quelque chose le poussait à ramasser l'ourson et quelque part, il savait qu'il ne devait pas le laisser là. Il l'attrapa du bout des doigts et le glissa dans son sac, rejoignit Mary et passa son bras autour de sa taille pour la soutenir.

À l'aide de la lampe de poche, ils trouvèrent rapidement leur chemin vers l'extérieur.

Charlie regretta le grincement de la porte au moins autant que lorsqu'il était entré dans ce satané entrepôt. Ils se retrouvèrent dehors, dans la rue déserte et froide. Il regarda autour de lui, mais rien ne semblait indiquer qu'ils avaient alerté qui que ce soit avec ces coups de feu.

- On rentre, dit-il simplement.

- On n'appelle pas la police ?

- Franchement, je ne sais pas comment leur expliquer tout ça.

Mary semblait trop épuisée pour discuter cette décision. Tout ce qu'elle voulait, c'était s'éloigner de cet endroit horrible.

- Comment tu as su ? demanda-t-elle au bout de quelques pas.

Charlie prit son visage dans ses mains et la fixa intensément dans les yeux.

- Je te promets de te raconter tout ça. Mais à la maison, OK ?

Mary soutint le regard de Charlie, y vit sa détermination et lut quelque chose de nouveau en lui, une sorte de confiance en soi, une sérénité qu'elle n'aurait su expliquer. Elle décida de lâcher prise, elle n'en pouvait plus, de toute façon.

- D'accord, dit-elle en baissant les yeux.

Alors qu'ils tournaient le coin de la rue, ils croisèrent plusieurs voitures de police, tous feux allumés, sirènes hurlantes. Charlie comprit vite qu'ils se dirigeaient vers l'entrepôt.

Ils continuèrent de marcher, faisant leur possible pour adopter un comportement naturel. Une cinquantaine de mètres plus loin, ils passèrent devant une ruelle semblable à celle où tout avait débuté pour Charlie : sombre, bordée des hauts murs des immeubles qui l'entouraient, on y distinguait seulement quelques énormes containers à poubelles.

- Attends, prévint-il.

Charlie sortit Teddy Bear de son sac. D'un geste puissant, il jeta la peluche le plus loin qu'il le put. Il vit l'ourson rouler après sa chute, puis disparaitre au coin d'un des containers.

- Qu'est ce que tu fais ? demanda Mary.

- Je me débarrasse d'un problème, fit-il, comme si cette réponse sibylline pouvait suffire à Mary.


Mais, eh ! C'était son rêve, et dans son rêve, Mary ne ressentait pas le besoin de tout savoir et de tout comprendre, elle ne posait pas des questions sans fin, jusqu'à ce qu'elle connaisse tous les tenants et les aboutissants de la situation.

Pour le premier rêve dont il se souvenait - enfin -, Charlie était satisfait : il aimait les histoires qui se terminaient bien. Il aimait les happy ends, et il était comblé ; après tout, il passait pour le héros, sauvant sa princesse des griffes du mal.

Son rêve continuait sous un aspect beaucoup plus plaisant et ils reprirent leur marche en direction de la maison. Ces gangsters ne reviendraient pas, il s'était débarrassé de l'ourson, et Mary était saine et sauve. Il avait réussi tout cela grâce à cette peluche incroyable, et l'idée de retourner la chercher lui effleura l'esprit. Mais il n'avait pas vu l'ourson continuer de rouler juste après qu'il l'ait lancé, assez pour venir toucher le pied d'un SDF occupé à fouiller l'une des poubelles. Il ne vit pas non plus l'homme se dégager et ramasser l'objet.

Non. Cette peluche était mieux hors de leur vie. Il devait se consacrer à cela, maintenant. De toute façon, s'il avait compris quelque chose dans toute cette histoire, c'était bien qu'il devait faire des concessions et qu'ils devaient prendre leurs décisions à deux. Peut-être était-ce la fonction des rêves. Ils permettaient de grandir.

Alors qu'ils marchaient sur le trottoir, Charlie se sentait beaucoup plus calme, serein. Sûr d'avoir pris la bonne décision.

- Incroyable, murmura Mary en secouant la tête.

Charlie aimait les happy ends, alors pourquoi ce rêve ne se terminait-il pas ?

C'est bon, songea-t-il.

C'est OK, tout est bien qui finit bien. Je peux sortir de mon rêve. Je dois me réveiller.


Woooosh !



Charlie ouvrit les yeux sur un environnement familier.

Il était debout, en plein milieu de l'entrée. La porte était entrouverte, et la petite lampe sur le buffet devant lui éclairait son portefeuille et une feuille blanche pliée en deux, déposée sur l'objet en cuir. Il reconnut l'écriture, et il reconnut le numéro de téléphone. Il vit son reflet dans le miroir accroché dans l'entrée, et il vit ses yeux rougis et ses cernes profonds, et son visage marqué de fatigue et de tristesse.

En baissant la tête, il vit qu'il tenait des deux mains l'ourson en peluche, avec ces deux pastilles de plastique à la place des yeux, ces deux pastilles qui semblaient émettre une lueur rougeâtre, et avec cette espèce de petit pull qui l'habillait, et sur lequel étaient brodés les mots : Teddy Bear.

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⏰ Last updated: Apr 26, 2015 ⏰

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Teddy BearWhere stories live. Discover now