5 : Charlie arrive trop tard

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Mary s'était fait enlever ? Et par qui ? Et c'était quoi, cette histoire de quelque chose qu'il aurait ? Un sentiment de panique lui secoua la poitrine tandis que sa vue se brouillait de larmes. Était-ce ce type qui l'avait poursuivi dans la ruelle ? Et puis, qu'avait-il pris, et à qui ?

Charlie souffla plusieurs fois pour se calmer, pour se concentrer.

Il réfléchit à toute vitesse. Il revit les événements de ces derniers jours, ses interactions avec d'autres personnes, l'université, les étudiants, ses contacts avec la banque, sa dispute avec Mary, et...

Et s'il lui arrivait quelque chose, les derniers mots qu'il lui avait dits étaient très durs. Elle avait été enlevée, malmenée, et elle devait être morte de trouille. Charlie ne pouvait qu'imaginer ce que c'était que de voir ses pires peurs se réaliser un beau jour. Et dans ce contexte ahurissant, alors qu'il risquait de ne plus la revoir, leur dernier échange avait été une dispute. Et tout cela pour quoi ?

Il avait beau y réfléchir, Charlie ne trouvait pas de quoi il s'agissait. On lui demandait de rendrequelque chose qu'il aurait pris à quelqu'un, et ce quelque chose, il n'avait aucune foutue idée de ce que cela pouvait bien être. Le seul élément qui sortait de l'ordinaire, c'était... cette peluche qu'il venait de trouver. Pour le coup, on passait du bizarre au très bizarre, du surréalisme à la quatrième dimension ! Des gangsters enlèveraient quelqu'un pour récupérer un ourson, un Teddy Bear ?

Il soupesa ses options. N'importe qui de censé, à commencer par lui-même dans sa vie bien rangée, aurait d'abord appelé la police. Mais des images de films noirs lui revinrent en mémoire et il jugea que ce n'était peut-être pas une si bonne idée, peut-être valait-il mieux voir de quoi il retournait et composer le numéro. Et puis, que dirait-il à la police ? Des types ont enlevé ma fiancée pour récupérer un ours en peluche. Ridicule.

Charlie se releva, un air résolu barrant son visage, et il composa le numéro.

Il n'eut même pas le temps d'entendre la moindre sonnerie, à peine un clic suivi d'un long silence. Il éloigna le téléphone de son oreille pour vérifier l'écran qui montrait qu'il était bien en ligne.

- Allo ? demanda-t-il.

- Vous prenez le Teddy Bear avec vous, débita une voix d'ordinateur. Vous allez au 123, Lexington Avenue. Hangar numéro 7. Vous venez seul.

- Passez-moi Mary !

- Vous venez seul. Vous appelez la police : elle meurt. Vous ne venez pas : elle meurt. Vous faites un coup tordu : elle meurt. Vous merdez : elle meurt.

Charlie avait déjà entendu cette voix. Ce son synthétique lui disait quelque chose, mais il n'arrivait pas à savoir où il aurait pu le rencontrer. Il fouilla sa mémoire - après tout, cela pouvait lui apporter un indice - avant de réaliser qu'il l'avait entendue sur son propre portable : c'était la voix par défaut installée sur tout ordinateur Apple. Ces types s'en servaient simplement en tapant le texte et en le faisant lire à voix haute.

- Passez-la-moi ! Je veux entendre sa voix, réussit-il à glisser en essayant de ne pas trop faire remarquer les tremblements qui le prenaient soudain.

- Vous avez deux heures. Vous ne venez pas -

- Elle meurt ! Coupa Charlie. Bordel, passez-moi Mary ! cria-t-il au bord des larmes.

Mais tout ce qu'il entendit en retour, ce furent trois sonneries caractéristiques : ils avaient raccroché.

Charlie sentit ses jambes flageoler, il dut s'assoir en tailleur devant le meuble de l'entrée, la tête lui tournait et il avait du mal à respirer. Il mit son visage dans ses mains.

Quelques secondes passèrent, des secondes lentes, obsédantes, inutiles, des secondes qui le rapprochaient inéluctablement d'un dénouement. Que pouvait-il faire ? À qui pouvait-il s'adresser ?

Cela allait bien trop vite, trop loin. Il avait du mal à réaliser qu'il venait de basculer dans ce nouveau monde, un monde de peur et de menaces, un monde où il n'avait aucune prise, aucun contrôle.

Et puis tout à coup, il repensa au bébé qu'il avait sauvé et à ce cycliste, aux flashs et aux visions prémonitoires, au Teddy Bear. Son esprit rationnel refusait cette idée, mais après tout, il y avait bien quelquechose avec cet ourson. Quelque chose de suffisamment intéressant pour que des types soient prêts à enlever quelqu'un pour le récupérer. Cette peluche était précieuse. Était-ce... était-ce parce que c'était vrai ? Ces flashs prémonitoires, peut-être que cet ourson en peluche les provoquait chez tout le monde ?

Charlie se releva et manqua de tomber en se précipitant vers son sac bandoulière. Il dégagea le Teddy Bear, le tint à bout de bras, l'observa sous tous les angles, le tâta, vérifia s'il n'y avait pas une petite fermeture éclair, ou un objet quelconque caché à l'intérieur. Mais en quelques secondes, il dut bien se rendre compte que non, cet ourson n'avait rien de particulier.

Enfin, si l'on excluait le côté « magique » de ce qu'il avait vécu dans la ruelle.

Soupir.

Charlie céda à cette idée surnaturelle. Qu'avait-il à perdre ?

Il commença par serrer fort contre lui la peluche, ferma les yeux, changea de position trois fois en éloignant et rapprochant l'ourson, sans que rien ne se passe.

Il tenta de se rappeler la posture qu'il avait eue lorsqu'il était dans la ruelle, s'imita lui-même à ce moment-là et patienta quelques secondes, mais rien ne se produisit.

Il jeta l'ourson contre un mur, enragé.

- Mer-de ! hurla-t-il.

Charlie surprit son reflet dans le miroir du salon : il avait l'air ridicule. Tout cela était ridicule. Cette histoire de vision était ridicule.

De toute manière, il n'avait pas vraiment le choix : tout ce qu'il pouvait faire, c'était de leur obéir, leur apporter l'ourson en espérant qu'ils tiennent parole et les libèrent Mary et lui.

Charlie entra l'adresse dans l'application GPS de son téléphone. L'appareil estima le délai pour se rendre à Lexington Avenue. Ce n'était pas très loin. Il consulta sa montre. Même en comptant large, il avait encore pas mal de temps devant lui.

En attendant l'heure, il s'assit dans le canapé et pleura.

Teddy BearWhere stories live. Discover now