DEUXIÈME PARTIE - Chapitre 17

1K 145 72
                                    




Lawrence saisit nerveusement le combiné et ses doigts composèrent le numéro sans même qu'il n'ait besoin d'y réfléchir. C'était la huitième fois qu'il cherchait à le joindre. À la neuvième tentative infructueuse, il jeta un œil à son répertoire, fit le numéro juste en dessous et attendit. Plusieurs sonneries plus tard, le répondeur se déclencha. Law, qui commençait à perdre ses moyens, commença par bougonner, puis laissa le message suivant :

— Écoutez, mon brave, je ne sais pas où vous êtes passé ni ce qui vous autorise à ignorer ainsi mes appels, mais cela commence à franchement me casser les pieds. Je commence même à avoir de sérieux doutes sur vos intentions premières, pour tout vous dire ! Si cela vous importe tant, pourquoi ne vous manifestez-vous pas, hein ? Je vous dis qu'on l'a enlevée, j'en suis certain, sacrebleu ! Et j'ai besoin de votre aide, j'ai besoin de quelqu'un de confiance, vous m'entendez ? Alors, si vous tenez à elle autant que vous le prétendez, rappelez-moi. Et vite.


*


Rosie hoquetait tant que Caroline peinait à saisir le sens de ses paroles. Elle avait déboulé dans le living room déjà si bouleversée que ses longs cheveux roux et raides étaient trempés de larmes. Affolée, sa mère s'était précipitée vers elle, redoutant un rebondissement tragique dans la disparition d'Ophelia.

— Rosie, Rosie, grand Dieu, que se passe-t-il ? Que se passe-t-il, mon bébé ? s'inquiéta-t-elle en la prenant dans ses bras.

Du haut de ses dix-sept ans, la jeune fille revêtait la fragilité à l'état pur. Fluette, pâlotte et très émotive, elle n'avait jusqu'alors jamais envisagé d'être un jour séparée de son aînée qui avait toujours été pour elle comme une ancre.

— Maman, gémit-elle, maman, tout est ma faute, sanglota-t-elle.

— Mais non, enfin, Rosie, ce n'est pas ta faute, la consola-t-elle en caressant tendrement ses cheveux. Tu ne pouvais pas savoir. Aucun d'entre nous n'aurait pu s'imaginer une chose pareille. Elle va revenir, je te le promets. Elle va revenir, répéta Caroline qui cherchait à s'en convaincre elle-même.

Rosie se défit de son étreinte.

— Non, maman, tu ne comprends pas. Elle ne va pas revenir, elle... elle... je...

Caroline fronça les sourcils, surprise, puis releva le menton de Rosie et lui demanda :

— Ma puce, que veux-tu dire ?

Rosie regarda sa mère avec des yeux aussi rougis que suppliants.

— Maman, je lui ai dit qu'elle s'était trompée. Je lui ai dit que... qu'elle se mentait à elle-même, que Joshua n'était sans doute pas fait pour elle. J'ai... Je ne sais pas ce qui m'est passé par la tête mais je... je crois bien que c'est moi qui l'ai poussée à s'enfuir avec ce Samuel.


*


Bien tard ce soir-là, Joshua passa la porte de son bureau — celui-là même qui donnait sur sa chambre. Il était plus de vingt-trois heures lorsqu'il ôta son écharpe, déboutonna son long manteau beige Burberry avant de les pendre, et se dirigera tout droit vers la salle de bain, troublé. Ni son père, ni sa mère, ni ses deux petits frères n'avaient osé lui demander des détails, pas plus qu'ils n'avaient abordé le sujet depuis le jour de la fête. Après l'incident, il n'avait eu de cesse que de faire de longs trajets en voiture, l'autoradio au maximum du volume, incapable d'apaiser ses sentiments de quelque autre manière qu'en additionnant la vitesse de sa Jaguar aux sonates les plus mélancoliques de Bethoveen.

Il retira ses souliers en cuir, se déshabilla complètement, ouvrit les robinets et laissa l'eau chaude de la douche couler sur ses boucles blondes, puis apaiser un peu ses muscles aussi saillants que contractés. Il savait que le deuil est supposé guérir par étapes, mais il n'avait aucune idée de laquelle il traversait actuellement. Et le temps... le temps passait plus lentement que jamais, depuis qu'Ophelia s'était évanouie dans la nature.

Après de longues minutes, Joshua sortit de la douche sans prendre la peine d'essuyer la buée sur le miroir comme il en avait pourtant l'habitude — non, il ne tenait pas à voir une fois encore le reflet d'un homme certes instruit et sincère, mais qui n'avait pas su garder auprès de lui ce à quoi il tenait le plus au monde. Il ne remarqua donc pas qu'il avait eu la main si lourde sur la vanne d'eau chaude, qu'une large tâche rouge s'était dessinée le long de sa nuque et de ses épaules. Nouant une serviette à sa taille, il traversa sa chambre, se dirigea vers le répondeur dont la diode clignotante indiquait un message, appuya sur le bouton et reconnut sans difficulté la voix qui disait :

« Écoutez, mon brave, je ne sais pas où vous êtes passé ni ce qui vous autorise à ignorer ainsi mes appels, mais cela commence à franchement me casser les pieds. »

Tous droits réservés - Melissa Bellevigne

ENLÈVE-MOI (Version 2022)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant