— Il s'est passé quelque chose aujourd'hui mais je ne devrais sans doute pas t'en parler...

— Tu en déjà trop dit ! Raconte.

— D'accord... Il y a moins d'une heure, j'ai surpris Sam avec une élève.

— Quoi !? Il couche avec une élève ?

— Ils s'embrassaient simplement quand je les ai vus...

— C'est déjà trop ! Ça me répugne. J'avais entendu des élèves dire qu'il se tapait une sixième mais je ne l'en aurais pas cru capable.

— Elle est en cinquième...

— Encore plus jeune ! Et mineure, sûrement. Demain, tu dois aller voir Monsieur Dupont, ok ?

— J'en avais bien l'intention. Mais ça me met mal à l'aise, si je veux être honnête... Je débarque pour deux mois et demi de cours et je vais raconter ça au directeur.

— Il faut que tu le fasses. Ce n'est peut-être pas la seule. Sortir avec une élève, quel esprit tordu !

— Tu as raison. Je le ferai pour protéger les autres filles.

— Cette histoire m'a bien retournée. Je ne pensais pas que cet appel me mettrait dans cet état.

— Désolée...

— Mais ne le sois pas, ok ? C'est moi qui ai insisté. Ça m'apprendra à être trop curieuse. Initialement, je t'appelais pour savoir où tu en étais dans les cours à l'approche des examens.

— Je suis dans les temps. J'entame les révisions la semaine prochaine. La session d'examens commence le 20.

La conversation se dirigea ensuite sur Tom et le rôle de parents qui était moins idyllique que ce qu'Adèle et son mari, Pierre, imaginaient mais qu'ils ne regrettaient aucunement. Clémence fut ravie de finir la journée par cette discussion plus légère.

Monsieur Dupont fut hors de lui quand la professeure lui raconta ce qu'elle avait vu la veille. Il lui demanda toutefois si elle était certaine de ce qu'elle disait et elle confirma ses dires avec aplomb. Il voulait connaître l'identité de la jeune fille mais Clémence ignorait son prénom. Il lui présenta alors les dossiers d'élève dans lesquels il y avait leur photo. Elle la reconnut grâce à sa belle chevelure de feu. Le directeur lui posa encore quelques questions et lui demanda de garder sa découverte pour elle. La jeune femme lui avoua en avoir parlé à Adèle, sans penser à mal. Il sembla embêté mais ne dit rien et

l'invita finalement à quitter la pièce. Elle se rendit alors à la salle des professeurs où elle croisa Samuel qu'elle ignora. Elle alla donner ses cours et à son retour, lors de la pause de midi, elle apprit que la direction avait convoqué le professeur de mathématiques. Il débarqua une demi-heure plus tard, prit ses affaires en lançant un regard noir à Clémence puis sortit sans un mot. Quelques minutes plus tard, le directeur annonça à l'ensemble des enseignants que Monsieur Sion ne faisait plus partie du corps professoral de cette école. Dans l'après-midi, la jeune femme apprit que l'élève qu'elle avait identifiée avait confirmé ses dires et que Samuel avait été contraint d'admettre cette aventure. Clémence se réjouit de ne pas avoir été plus loin avec lui et bloqua son numéro de téléphone.

Les examens arrivèrent bien vite. C'était une organisation particulière et une tension régnait au sein des élèves. Le matin, ils étaient beaucoup à relire leurs notes et synthèses avant la dernière ligne droite. Cela rappelait à Clémence ses études qui n'étaient pas si loin derrière elle. Le rôle des professeurs durant cette période était surtout de surveiller les classes pour éviter les tricheries. Cette session d'examens se déroula sans problème. Les élèves eurent quelques jours de congé afin que les enseignants puissent établir les bulletins et se réunir en conseil de classe. La professeur de français participa activement aux siens et fut heureuse d'apprendre que Jordan s'était amélioré dans toutes les matières. Avoir pu l'aider malgré ce qu'il s'était passé apporta une grande satisfaction à la jeune femme. Les bulletins furent remis le 30 juin dans la matinée et les parents, ainsi que les jeunes, pouvaient rencontrer les professeurs s'ils le souhaitaient. Clémence discuta avec certains parents à qui elle donna un retour sur les résultats de leur enfant. La dernière maman qu'elle reçut la remercia et quitta la salle sans fermer la porte. L'enseignante resta dans la classe et déambula entre les bureaux tout en chantonnant. Elle ne voulait pas penser qu'il s'agissait de ses dernières minutes à Saint-André. Elle s'y sentait bien et les personnes qu'elle y avait rencontrées lui manqueraient. Sauf Samuel, évidemment ! Elle regardait par la fenêtre quand on frappa à la porte.

— Madame Leduc ?

— Bonjour, Jordan. Veux-tu parler de tes notes ?

— Non, pas du tout.

— Alors, pourquoi es-tu ici ?

— Pour vous donner ceci.

Il s'était avancé vers elle et lui tendit un paquet emballé de papier kraft. Bien que surprise, elle accepta le cadeau.

— Merci...

Elle le déballa et découvrit un carnet vert au format A4 qui était un peu usé. Elle comprit que c'était celui du garçon.

— Je ne peux pas accepter, c'est ton carnet à dessins. Il est à toi.

— Ça fait longtemps qu'il est à vous...

Cette réponse intrigua l'enseignante qui l'ouvrit et, en le feuilletant, constata que son portrait ainsi que son prénom étaient présents sur chacune des pages. Le carnet était rempli de son image. Elle resta d'abord sans voix puis regarda son élève qui lui souriait avec espoir.

— J'ai réfléchi, comme vous me l'aviez dit. Je ne suis pas dérangé. Tous ces sentiments sont normaux. C'est l'amour qui fait ça ! C'est la réponse à toutes mes questions. Madame Leduc...

Il prit la main de Clémence mais elle la retira vivement. Cette sincérité dans sa voix troubla l'enseignante mais la colère fut la plus forte.

— Non, Jordan ! Non, non et non ! Tu es un gamin de 15 ans qui ignore tout de la vie et encore plus de l'amour. Tu confonds tout. Tu confonds attirance et amour. Tu confonds espoir et illusion. Tu confonds rêve et réalité. J'ai été patiente et gentille avec toi. J'aurais dû être plus ferme dès les début. Il n'y aura jamais rien entre toi et moi parce que je ne t'aime pas et que tu ne m'aimes pas non plus. Au fond de toi, tu le sais très bien.

Elle se dirigea vers son bureau pour rassembler une dernière fois ses affaires. Jordan, lui, ne bougea pas, le regard fixé sur sa professeur. Il parla avec calme.

— Au fond de moi, je sais très bien, en effet. Je sais très bien que c'est de l'amour. Pourquoi avoir 15 ans ferait de moi un ignorant de l'amour ? Je comprends ce que c'est d'avoir un visage qui revient tout le temps dans les pensées, d'avoir un prénom et une voix qui résonnent sans arrêt dans la tête. Je ressens très bien ce frisson qui parcourt le corps à la vue de l'être aimé et le vide qui s'installe quand cette personne s'éloigne. Je connais très bien cet amour qui rend heureux et malheureux en même temps. Je le vis chaque jour depuis des semaines.

Il parla plus fort, avec des sanglots dans la voix.

— Alors, ne me dites pas que je ne sais rien de l'amour ! Je crois que c'est vous qui ignorez tout de lui et que c'est plus facile pour vous de rester dans cette ignorance que de vous plonger dedans et de le vivre malgré tout.

Les larmes montèrent aux yeux de Clémence. Que pouvait-elle lui répondre ? Il avait raison. Elle n'avait jamais aimé et lui semblait avoir tout compris. Mais pourquoi elle ? Elle déposa le carnet sur son bureau, empoigna son sac, marcha vers la porte et, avant de partir, lui adressa un dernier au revoir, sans le regarder. Elle disparut dans le couloir. Au bout de quelques secondes, elle entendit Jordan crier et le bruit d'un livre projeté sur un mur. Elle se stoppa, hésitant à faire demi-tour, puis reprit sa route. Elle murmura.

— Je suis désolée, Jordan. Tellement !

Les promesses du parcWhere stories live. Discover now