— Bon après-midi. A ce soir.

Avoir sa collègue au téléphone faisait toujours plaisir à Clémence. Même si elle n'était plus une débutante, ça la rassurait d'avoir quelqu'un qui l'accompagnait. Après avoir raccroché, elle discuta avec certains professeurs dont Albert Pochet qui avait également été fort présent pour elle lors de sa première expérience dans cette école. Il y était maintenant le plus vieil enseignant et il semblait rempli de sagesse. Il avait les cheveux poivre et sel, une barbe de la même couleur, des petits yeux verts et une voix apaisante. La jeune femme l'appréciait énormément.

La sonnerie annonça la reprise des cours. Clémence rejoignit la classe des sixièmes A et arriva en même temps que ses élèves. Ils s'installèrent pendant qu'elle sortait les feuilles de présence et inscrivait son nom au tableau. Une fois fait, elle se retourna et se présenta directement.

— Bonjour à tous. Je suis Madame Leduc, votre professeure de français pour cette année. Je remplace Madame Michaux durant son congé maternité. Je suis déjà venue dans cette école il y a quelques années donc, nous nous sommes déjà peut-être croisés. Je tiens à vous dire que je suis ici pour vous aider à avancer. N'hésitez jamais à venir me voir ou me poser des questions si c'est nécessaire, d'accord ?

Elle entendit un "oui" collectif mais plutôt timide. Elle regarda ses élèves et remarqua dans le fond de la classe, un garçon qui fixait obstinément ses pieds, cachant ainsi son visage.

— Maintenant, place à l'appel ! Quand je dirai votre nom, j'aimerais que vous m'indiquiez vos projets pour l'année prochaine. Marie Bernard ?

— Présente. L'an prochain, je vais faire des études d'infirmière.

— Xavier Boulanger ?

— J'suis là. Et j'irai à l'unif' de droit.

Clémence continua jusqu'à ce qu'elle lise un nom qui la fit légèrement tressaillir. Elle déglutit, trop bruyamment à son goût, puis reprit son souffle et un semblant d'enthousiasme.

— Jordan Servais ?

Le garçon qui observait ses pieds leva la tête et elle le reconnut immédiatement. Il la regarda quelques secondes.

— Présent. J'hésite pour l'an prochain : soit étudier la philo, soit voyager. On verra ce que l'avenir me réserve.

— Maxime Sonet ?

La professeure était mal à l'aise. Elle devait se reprendre et ne rien laisser paraître. Il fallait qu'elle tienne deux heures avec le cœur serré et une boule dans l'estomac. Après l'appel, elle donna la liste des manuels et des livres dont les élèves auraient besoin durant cette année. Pendant qu'elle parlait, elle évitait de croiser le regard de Jordan et elle le soupçonnait de l'imiter. Toutefois, sa nausée ne disparaissait pas. Elle avait besoin de respirer mais c'était impossible en animant la classe. Elle demanda alors à ses élèves de lui donner, chacun à leur tour, le titre de leur livre préféré et d'expliquer leur choix. Elle se concentra pour les écouter mais elle ne pouvait pas s'empêcher de penser : "C'est impossible ! Il ne devrait pas être là. C'était un bon élève qui n'avait aucune raison de redoubler une année. Il était en quatrième : il devrait avoir quitté cette école."

Elle fut ramenée à la réalité par la voix de Jordan.

— Mon livre préféré est "Des souris et des hommes". C'est un roman qui m'a énormément marqué par son histoire. Et il me fait penser à quelqu'un que j'ai connu...

Clémence savait que cette réponse lui était destinée. Elle sentit son cœur se serrer un peu plus dans sa poitrine. Elle acquiesça simplement avant de passer au jeune suivant et finalement, entamer sa leçon. Lorsque le cours fut enfin terminé, les adolescents se déplacèrent entre les bureaux en attendant le professeur suivant. Elle profita de cette légère animation pour examiner Jordan. Dans son souvenir, c'était un garçon de 15 ans, pas très grand, au physique discret. Il avait des cheveux mi-longs blonds qui cachaient souvent ses yeux bleus, un visage rond et des dents trop grandes pour sa bouche et il arborait un appareil dentaire. Mais, deux ans plus tard, il était devenu un homme. Les traits étaient les mêmes mais il s'était affiné, sa mâchoire était plus carrée et sa dentition parfaitement alignée. Il avait coupé ses cheveux, désormais châtains, et les coiffait en les relevant pour dégager son front. Et surtout, il avait grandi. Il dut sentir qu'elle l'observait car soudainement, il croisa le regard de son enseignante pour qui le temps se figea jusqu'au moment où Marie se planta devant le jeune homme pour l'embrasser. Clémence poussa un soupir de soulagement et quitta la pièce. Elle passa rapidement par la salle des professeurs puis rentra chez elle. Dans sa voiture, la musique fonctionnait à haut volume pour étouffer ses pensées. Arrivée dans son appartement, elle s'assit dans son canapé et resta prostrée en se remémorant sa première année à Saint-André.


*En Belgique, les classes de secondaires vont de la première à la sixième (de 12 à 18 ans). Le degré supérieur correspond à l'ensemble des classes de la quatrième à la sixième.

Les promesses du parcWhere stories live. Discover now