Chapitre 1 : Terminale

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     Comment s'appelle-t-elle déjà ? A bien y réfléchir, je ne me rappelle même pas qu'elle me l'ait seulement dit ... Quel idiot. Passer tout un été avec elle sans même avoir songé à demander son nom ...

     Je vais sans doute pouvoir réparer rapidement mon erreur, l'appel étant déjà passé avant mon arrivée, il ne me reste plus qu'à prendre place, et il y en avait justement une de libre à côté d'elle, on dirait bien que c'est mon jour de chance !


𝌀 Elle


     Bon sang, qu'est-ce qu'il m'a pris ? Si j'avais fermé ma fichue bouche, il ne m'aurait peut-être même pas vue, et encore moins reconnue. Il aurait suffit que j'attende sagement qu'il m'oublie et le tour était joué ! Mais non, il a fallu que j'en fasse des tonnes, et maintenant tout le monde me regarde comme si j'avais perdu la tête. Tout le monde, sauf Potiche.

     Potiche, ce n'est évidemment pas son véritable nom, seulement un pseudonyme que je lui avais dégoté un jour de très grande inspiration... Ok, vous allez certainement me croire un peu harpie sur les bords, mais sachez que nous avons tout un historique en commun, justifiant pleinement cet incroyable surnom ! Et il faut croire que nous sommes dans la même classe, encore une fois ... A croire que l'on m'a jeté une malédiction depuis la maternelle. Pas une année sans qu'elle ne soit à plus de 3 mètres de moi ...

     Donc, Potiche, c'est ce genre de fille qui a tout pour elle. Du moins physiquement. Parce qu'en soi, c'est aussi cette pimbêche, garce à temps plein, qui était la source de bon nombre de mes cauchemars. Et je ne vous parle pas de son visage ultratellement maquillé que le commun des mortels ignore sûrement quelle est sa véritable apparence. Mer...credi, à continuer de baver sur elle dans ma tête je finirais bien par moi-même devenir une Potiche-bis. Surtout que, pour la connaître de longue date, je sais pertinemment que sous toute cette couche de peinture superficielle, elle demeure vraiment belle. Ce que la génétique peut être injuste parfois.

     Je disais donc que tout le monde cherche à comprendre ce qui peut bien m'avoir poussé à hurler ainsi, moi, le fantôme inanimé de ce lycée, tout le monde, sauf Potiche. Elle, elle semble plutôt bien trop préoccupée à dévorer littéralement des yeux le nouvel arrivant. Évidemment. Exactement le genre de proie qu'elle « apprécie ». Mais même pour elle, il est beaucoup trop ... bien.

     Ses cheveux roux en bataille lui donnent une allure négligée, alors que je suis à peu près certaine qu'il y passe des heures pour obtenir ce rendu — ce qui justifie pleinement son retard en ce grand jour où tout le monde prend normalement grand soin d'arriver à l'heure — , le regard vert perçant derrière quelques mèches tombantes, la mâchoire anguleuse, et visiblement un corps bien travaillé par des heures d'exercices, de plus en plus imposant au fur et à mesure qu'il s'appro...

     Attendez ... Est-ce qu'il est vraiment en train d'approcher le sombre fond de cette classe, mon antre inhabitée, mon espace absolument et irrémédiablement VITAL ? Vite, une idée, vite, vite, vite !


𝌀 Lui


     Est-ce qu'elle vient de poser son sac sur la chaise à côté d'elle ... pour m'empêcher de m'y asseoir ? Je ne sais vraiment pas à quoi elle joue, mais elle n'a pas changé, toujours aussi espiègle et amusante ! J'ignore si elle s'imagine qu'elle peut m'arrêter aussi facilement, mais autant qu'elle le sache de suite, c'est raté.

     — Tu permets ? je lui demande, pouvant ressentir le malaise qui explose à l'intérieur de sa si petite personne.

     Peut-être pas si espiègle que cela ... Si seulement elle me laissait l'approcher, je pourrais peut-être comprendre ce qui la met dans cet état ...

     — Occupé.

     Occupé ? Elle vient vraiment de me snober avec une excuse aussi ... pathétique ?

     — Je pense que Monsieur le Sac peut me faire une petite place ? j'insiste, essayant une légère pointe d'humour pour lui faire entendre que je viens en paix.

     Occupé, encore. Pourtant, cet été cela fonctionnait à chaque fois ! Son rire ... Je n'aurais jamais espéré pouvoir l'entendre à nouveau, mais il semble que les opportunités ne manqueront pas, si tant est qu'elle m'accorde enfin un regard.

     — Allez-vous enfin vous asseoir ? s'impatiente le professeur.

     Je crois que je ne vais pas avoir beaucoup d'autre choix que de chercher ailleurs, je me suis déjà bien assez fait remarquer en bien trop peu de temps pour me permettre d'en rajouter. Mais je n'ai pas dit mon dernier mot, Miss ...


𝌀 Elle


     Il s'éloigne enfin ... Je vais pouvoir inspirer à nouveau de l'air, loin de ce parfum que je n'ai pas encore eu le temps d'effacer de ma mémoire. Il sent bon, c'est indéniable, mais mon espace vital quoi !

     Attendez ... Ne me dites pas que ... Ah ... Évidemment. Le voilà à côté de Potiche ... Pimpante comme jamais, à deux doigts de roucouler de plaisir, et prise en flagrant délit de non-respect de son espace vital à lui ! Mais il ne dit rien. Ça ne doit pas lui déplaire ... Je sens un avenir tout tracé pour Madame et Monsieur Parfaits. Trop cliché. Enfin bon, si je me concentrais plutôt sur le cours. Je pense que le message est passé, il ne viendra plus me voir, c'est certain.

     Et l'horripilante sonnerie annonce ENFIN la fin de cette première heure interminable ! Ce que j'ai retenu ? Deux ou trois trucs avant que ma cervelle ne se ramollisse et ne semble plus qu'entendre de vagues « blablabla ... » ... On est mal ... JE suis mal. Combien de cours il reste déjà ? À raison de quoi ? Quatre à six par jour ? Cinq jours par semaine ... Est-ce que j'ai vraiment envie de le savoir en fait ?!

     Je ramasse lentement mes affaires. C'est stratégique, si je sors la dernière, aucune chance de croiser qui que ce soit, ni le moindre regard ou la moindre remarque humiliante. Je pense que j'en ai assez fait pour aujourd'hui, inutile de me retrouver à devoir me justifier pour ce qu'il s'est passé.

     Allez, ça fait quoi ? Au moins cinq minutes non ? Je n'entends plus rien, ça devrait être bon. Je sors mon nez faussement caché dans mon sac et m'avance sans plus attendre. Seconde stratégie : ne pas rester à la disposition du professeur. Ça peut être risqué, mais bien moins que de les affronter eux...

     Pas le temps de faire trois pas qu'une masse imposante et bien trop rigide me heurte violemment. A moins que ce soit moi qui lui soit rentré dedans ... C'est le genre de chose qui arrive quand l'on passe son temps à tergiverser sans relever la tête. Bordel ... Trop d'interactions sociales pour mon petit être aujourd'hui.

     — Pardon ... je bougonne en me baissant pour ramasser mes affaires.

     Aïe ! Ma tête ... MAIS, BORDEL !


𝌀 Lui


     Bon sang, c'est qu'elle a la tête aussi dure que son entêtement à ne pas vouloir me regarder. Bien que cette fois je crois qu'elle ne l'a pas réellement fait exprès. Je ne peux m'empêcher de laisser échapper un rire en ramassant finalement ses affaires laissées au sol, éclatant de plus belle à chacune de ses railleries. Je crois bien qu'elle m'a maudit sur quelques générations au passage.

     — Tu sais, si tu voulais entrer en contact avec moi, il suffisait de demander gentiment à Monsieur ton Sac de me laisser sa place .

     La taquinerie, peut-être que cette fois-ci je pourrais enfin apercevoir ses pupilles. Mais c'est un nouvel échec... Elle m'arrache presque les affaires des mains, et me passe devant sans s'arrêter.

     — Hé ! j'essaye de la retenir.

     Classe ... Bordel, si seulement je pouvais obtenir son nom. Je sors précipitamment dans les couloirs après avoir ramassé mon sac, et part à sa poursuite. Pourquoi me fuit-elle ainsi ? Je ne me souviens pas que l'on se soit quittés en mauvais termes, bien au contraire ... De quel côté est-elle partie ? Bon sang, elle a dû se faufiler comme une souris à travers la foule. C'est bien joué, mais nous sommes dans la même classe, et je peux donc aisément deviner le prochain lieu qu'elle doit rejoindre.

[FR] Dans tes yeuxWhere stories live. Discover now