Chapitre 1: Plein de lettres

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Cette lettre et des dizaines d'autres... Ou peut-être même des centaines... Je les ai découvertes par hasard dans le grenier d'Eiji. J'en ai volé quelques-unes, supposant qu'il ne s'en apercevrait jamais et les lisait chaque soir à la lumière de mon chevet.

Toutes plus poignantes les unes que les autres, elles ne manquaient jamais de m'arracher des larmes. Elles racontaient parfois des souvenirs, parfois des états d'âmes à l'agonie. Parfois le papier était boursouflé par la peine qui s'y était déversée. La mienne, spectatrice bouleversée, n'était rien à côté.

Secrètement, je rêvais de le rencontrer, cet homme légendaire... Il semblait avoir accompli des choses incroyables et compté pour tant de gens. Et particulièrement pour l'auteur de ces lettres, si passionnées qu'on croirait des lettres d'amour...

« Croirait »... Il semblerait qu'il reste encore quelque chose à ma naïveté d'adolescente... Je ne suis qu'une stupide oie blanche incapable de reconnaître des choses aussi évidentes que l'amour... A moins que ce ne soit mon éducation conservatrice qui me retienne d'admettre qu'un homme puisse ressentir de tels sentiments pour un autre...

J'ai pleine conscience de mes biais et de mon inexpérience pour évaluer la situation... Néanmoins il y a une chose dont je suis certaine : Le lien qui unit ces deux personnes transcende la frontière de l'autre monde. Je ne peux le comprendre pleinement, mais ce lien n'est clairement pas quelque chose de commun.

Du fond de mon cœur pieux, je suis convaincue que tôt ou tard, les âmes sœurs qu'ils sont, finiront par retrouver le chemin l'une de l'autre... Alors en attendant que ce jour arrive, je prierais pour cet inconnu nommé Ash. Qu'il soit heureux où qu'il se trouve. Et pour Eiji aussi, que sa blessure guérisse enfin...

Peut-être qu'Eiji est amoureux de lui, ou peut-être est-il simplement très attaché à lui. La nature de leurs sentiments n'a que peu d'importance, car à la lecture de ces feuilles, leur authenticité ne pourrait jamais être remise en cause... Ce sont des pierres précieuses, venues du plus profond de leurs entrailles, là où la chaleur du cœur, fait fondre même les plus solides roches...

« Mon dieu je vous en prie, faites que ces deux-là puissent être réunis... »

Les doigts croisés en signe de recueillement, je laisse mes dernières larmes s'envoler. Bien sûr, je ne souhaite pas qu'Eiji meure... Mais... Ah... Ash. Ne pourrait-il pas... revenir lui ? Je m'égare dans des pensées démentes quand soudain je sursaute devant la porte de ma chambre qui s'ouvre en claquant.

- Akira ! Tout va bien ?

C'est Sing. Tout ébouriffé, avec un simple caleçon et un marcel, comme s'il venait de se réveiller. Bouche bée devant son intrusion soudaine, j'ai tout juste la présence d'esprit de cacher la lettre derrière moi.

- Euh oui oui je vais bien ! Mais pourquoi tu rentres dans ma chambre comme ça au milieu de la nuit ? Si quelqu'un te voit il pourrait se méprendre.

J'ai honte de dire une chose pareille, mais je n'ai rien trouvé de mieux pour le faire fuir... J'espère qu'il n'a pas vu, ni entendu ce que j'étais en train de faire, sinon je vais avoir de gros ennuis... Mais hélas, mon stratagème échoue. Au lieu de cela il entre dans la pièce et s'assoit sur le rebord de mon lit avec un petit sourire en coin. Je m'enfonce anxieusement vers la tête de lit, en attendant qu'il dise quelque chose.

- Akira Akira, ma petite Akira. Tu crois qu'un homme comme moi puisse avoir un quelconque intérêt pour un bébé comme toi ?

Je rougis de gêne, et lui balance mon coussin dans la tronche, mais il le rattrape et s'approche de plus en plus de moi.

- Idiot !

Ce n'est pas comme si je le trouvais particulièrement beau et grand et charmant ou quoi que ce soit. Aah mais à quoi je pense moi! Puis je reviens à moi, lorsque je sens la main de Sing qui caresse affectueusement ma tête. Je relève les yeux et constate que son visage n'est plus qu'à quelques centimètres du mien, tandis que ses doigts rabattent mes cheveux derrière mon oreille.

- Je me suis juste inquiété parce que je t'ai entendu parler à voix haute, j'ai cru que tu faisais un cauchemar...

Je suis comme hypnotisée par les tonalités graves de sa voix, son parfum musqué et la netteté de son undercut. Je détaille chaque millimètre de son visage, les minuscules repousses sur son menton rasé, les angles de sa mâchoire virile, l'arc de ses sourcils...

- Et en plus tu as déjà un petit ami n'est-ce pas... ?

Il a murmuré ces derniers mots, achevant de me déstabiliser. Alors rouge pivoine je fais non de la tête et il m'adresse un grand sourire coquin en guise de réponse.

- ...Dans ce cas... Fais-moi voir cette lettre !

Sans prévenir, il tire d'un geste habile le papier caché sous le drap et se lève d'un bond pour qu'il soit hors de ma portée. Epouvantée j'essaie de le rattraper en vain, mais il me renvoie dans mon lit comme un misérable fétu de paille.

- Non Sing ! Rend la moi ! Rend moi la lettre !

- Ton oncle Ibe-san m'a demandé de veiller sur toi, donc je dois impérativement savoir qui tu fréquentes, et m'assurer que cet individu ne représente pas une menace.

Il a l'air de prendre sa mission très au sérieux. Je dois avouer que ça me fait un peu plaisir qu'il se soucie autant de moi... Cependant, je ne peux le laisser découvrir le contenu de cette lettre. Je rampe et me débat sur mon lit en essayant de la récupérer mais rien n'y fait, nos forces sont incomparables...

- Je t'en supplie, ne lis pas ! Ne lis pas Onichan!

- S'il est clean, je te promets que je ne le dirais à personne. Même pas à Eiji. Bon alors comment il s'appelle l'heureux élu... Voyons voir... Eij-... !

L'expression de Sing se décompose littéralement lorsqu'il réalise que cette lettre est très loin d'être ce qu'il imaginait. L'ambiance se tend soudain... Il la parcourt en diagonale, et déglutit d'effroi. Puis d'un coup, se retourne vers moi avec le visage rouge de colère.

- Où as-tu trouvé cela ?

- Je... Je ne voulais pas...

- Réponds à ma question Akira !

- Dans le grenier de Eiji ! Je suis désolée de les avoir prises ! Je sais que c'est mal et je n'aurais pas dû !

- Les ?

Abasourdi Sing s'approche de mon chevet et ouvre d'un coup sec le tiroir. Il vide aussitôt le contenu sur mon lit où s'envolent des dizaines de lettres devant mes yeux au bord des larmes.

- Akira... Ne me dis pas que tout ça c'est... ?

Je m'attendais à tout : à ce qu'il me crie dessus, à ce qu'il me punisse, à ce qu'il raconte tout à Eiji ou à mon oncle, même à ce qu'il m'en colle une. Parmi toutes ces choses que j'aurais bien mérité pour mon mauvais comportement, aucune ne s'est produite.

Il s'est simplement laissé tomber sur mon lit et s'est pris le visage dans les mains. Je voulais encore demander pardon, mais dans la panique les mots ne sont jamais sortis. A la place c'est sa voix éraillée qui a résonné entre les murs.

- Pauvre Eiji... Si seulement je pouvais l'aider...

Sing était en larmes. 

Les volcans endormisWhere stories live. Discover now