35 - Quatrième épreuve (2/2) (à réécrire)

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– Y... Yör ? balbutia-t-elle d'une voix à peine audible.

 Elle voulut se traîner à ses côtés mais ses membres refusaient de bouger. Le souffle rauque de la dragonne lui parvenait, bruyant, mourant. Devant elle, l'énorme masse gisait, emprise aux secousses que sa respiration saccadée faisait subir à ses entrailles. Un gémissement ténu lui échappa, pareil à celui d'un dragonneau égaré ; Yör avait peur, Yör souffrait, Yör l'appelait.

 – J'arrive, la rassura-t-elle en essayant de calmer le tremblement qui perçait dans sa propre voix. J'arrive.

 Elle devait bouger. Voir ses yeux, ses yeux brillants et remplis de fiertés qui, le temps d'une nuit, avaient été son repère.

 La jeune fille contracta une nouvelle fois ses muscles, résignée, et parvint à ramper jusqu'à la dragonne. Lorsqu'elle enroula ses bras autour de son cou, Yör remua légèrement. Yuling resserra son emprise :

 – Ça va aller, souffla-t-elle pour l'apaiser alors qu'une larme brouillait sa vision. Ça va aller.

 Mais Yuling n'y croyait qu'à moitié. Son cœur battait la chamade. Elle était loin d'être aussi sereine qu'elle tentait de le faire croire. A qui étaient destinés ces mots au juste ? Qui cherchait-elle à tromper ? Yör ? Ou bien elle-même ?

 Un sanglot secoua sa poitrine.

 Yuling connaissait à peine la dragonne. Pourtant, de la voir ainsi meurtrie lui semblait aussi sordide qu'injuste. Elle ne l'avait pas connue pour ressentir ce vide l'envahir. Elle n'avait pas partagé avec elle ces quelques souvenirs pour les voir s'évaporer. C'avait été une rencontre. Une rencontre insensée, peut-être. Mais une rencontre tout de même. Yör l'avait nourrie. Yör avait calmé ses craintes. Yör l'avait enrobée d'amour.

 Et pendant ces longues heures, cette magnifique dragonne avait été une mère.

 Un gémissement langoureux s'échappa de ses naseaux. Yör expulsa une nouvelle fois l'air chaud qui s'était engouffré dans ses poumons.

 Difficilement.

 Ses babines entrouvertes laissèrent couler un filet de sang. Lentement, son œil cligna. Yuling sentit son cœur se crisper, la jeune fille avait du mal à respirer. Une vague de chaleur l'enveloppa tandis que la voix de la dragonne soupirait douloureusement dans son esprit.

 Yör.

 La jeune fille regarda tristement les paupières de la dragonne blanche s'abaisser.

 Yör.

 Sa gorge tendue l'empêchait de déglutir. Ses yeux laissèrent échapper de grosses larmes qui roulèrent sur ses joues jusqu'à son cou.

 Yör...

 Yör ne méritait pas cette mort.

 Yuling serra plus fortement le corps de la dragonne dans ses bras, comme pour retenir la vie qui cherchait à s'en échapper. Un long silence s'installa durant lequel seul le bruit étouffé de ses sanglots rompit le silence pesant qui s'était installé dans la grotte.

 Puis Yuling se redressa, essuya d'un revers de bras ses joues humides, et releva gravement le visage. Ses sourcils étaient froncés, son regard emprunt d'une profonde colère. Elle fixa sans ciller l'homme aux yeux de sang, comme pour graver soigneusement ses traits dans sa mémoire. Pendant quelques secondes, il ne sembla pas la distinguer. Puis ses iris se contractèrent, son attention grandit et son visage se fendit d'un sourire malsain, presque jouissif. Il venait enfin de capter sa présence. Et cela le rendait euphorique. Son visage se déforma. Les commissures de ses lèvres se retroussèrent, s'arrondirent. Puis soudain, ce fut la caverne entière qui se brouilla, comme aspirée dans un tourbillon infini. Les contours de la grotte se mélangèrent au blanc étincelant du corps de la dragonne, au rouge du regard de l'assassin qui la fixait et bientôt, Yuling se retrouva agenouillée au centre d'une vaste salle aux murs clairs et au sol recouvert de lattes de bois laqué.

Dragons - Le souffle des âmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant