23 | La ville rose.

Depuis le début
                                    

— Retour à la maison, trésor, me lance-t-elle comme le signal de mission que j'attendais.

Alors je tourne la poignée pendant que comme dans un rituel bien rodé, elle pose sa paume sur mon épaule avant que cette fois, ce soit moi qui l'entraîne dans mon sillage en retenant mon souffle. Nous sommes happées par cette sensation étrange jusqu'à atterrir devant son lavabo contre lequel je m'appuie en réprimant les larmes qui m'envahissent. Je crois que je viens de comprendre pour de bon. Tout ça. Le coup de téléphone de Josh. Qu'Evan a été blessé dans l'exercice de ses fonctions. Que mon amie a géré notre retour pendant que j'avais perdu pied, paniquée. Que nous sommes rentrées par une porte car nous savions ce qu'il y a derrière celle-là. Puisque jusqu'à présent, chacune s'ouvre toujours sur un lieu unique. Et nous avons fait cela afin d'aller retrouver l'homme qui ne doit justement pas savoir que je peux réussir ça. Parce que c'est délirant. Impossible. Nous étions dans un parc toulousain il y a quelques secondes, mais désormais Carly le renvoie à ses milliers de kilomètres en fermant avec soin avant de venir m'attraper par la main.

— Viens, me dit-elle. Un taxi nous attend en bas.

Qu'est-ce que je ferais, sans toi ?

Est-ce que Josh t'a donné des nouvelles ? articulé-je péniblement.

Je ne veux pas y aller sans savoir à quoi m'attendre ! Je ne peux encaisser plus d'inconnu !

— Oui, me confirme-t-elle en avançant. Il vient de remonter du bloc. Il va bien.

Putain...

***

Trente minutes plus tard, après avoir enlacé un Joshua venu à notre rencontre et fatigué d'être ici depuis des heures, je suis sur le seuil de sa chambre. Je déteste les hôpitaux, pour tout vous avouer. Vous allez me dire que personne ne les aime vraiment, je le sais. Honnêtement, ils m'indifféraient, avant mon accident. Je n'avais pas de passif avec eux et donc aucune raison de les craindre puisque ne les ayant jamais fréquenté. Même si on m'y a sauvé, je ne peux m'empêcher d'avoir l'estomac noué quand j'y entre. Malgré ma reconnaissance envers le personnel soignant dans sa globalité. Mon admiration pour leur incroyable travail est ombragée par les éclats persistants de mon traumatisme. Par la frayeur d'être celle que je suis depuis mon réveil, surtout. Différente. Et pourtant, c'est encore merci que j'ai envie de dire, aujourd'hui. Mes doigts sont posés sur la porte restée entrouverte, mais je n'ose pas rentrer. Dois-je frapper ? Dans quel état est-il, derrière ? Souhaite-t-il me voir ? Quelle est ma légitimité, à me précipiter de cette façon ? Comment justifier mon attitude ? Y a-t-il quelque chose de compréhensible, dans mon comportement ? De logique ? Alors je reste plantée là, indécise, et le souffle brisé.

De quoi as-tu envie ?

De le voir.

De quoi as-tu besoin ?

De le voir.

Alors qu'attends-tu ?

Je ne sais pas.

Qu'est-ce que tu fais, Taylor ? me lance-t-il d'une voix nonchalante depuis l'intérieur, coupant le fil de mes pensées et me faisant sursauter.

Dans une inspiration tremblante, je repousse la planche en contreplaqué qui nous sépare, puis avance d'un pas. Le regard fatigué que je rencontre me brise le cœur et me donne envie de fondre sur lui comme si ma vie en dépendait mais ma raison me retient, donc je me contente de le dévisager en laissant une larme m'échapper. En position demi-assise, un drap recouvrant ses jambes, des oreillers dans le dos et le ventre bandé, il me contemple avec sérieux.

— Tu viens récupérer tes clés ? me demande-t-il lentement. Tu n'avais pas besoin de rentrer si vite, tu sais. Joshua pouvait s'occuper de Wyatt le temps que vous finissiez votre séjour.

Crois-tu réellement ce que tu dis ?

Essuyant furtivement ma joue, j'entre dans dans le jeu alors esquisse un rictus condescendant en m'approchant de son lit.

— En fait je suis venue en qualité de demoiselle d'honneur afin de m'assurer que tu n'allais pas gâcher les photos à cause d'une présentation désastreuse.

Sa réaction première est de m'envelopper de son sourire – parfait – mais il se ravise et son visage se ferme.

— Trêve de plaisanterie, pourquoi es-tu là ? me questionne-t-il d'un ton détaché.

Tu m'en veux... Je le mérite.

Sauf que je ne trouve rien à répondre. Étant juste submergée par mon soulagement de le voir vivant ainsi que ma culpabilité au sujet de mon injuste attitude.

— Ton silence là-bas était assez éloquent, Taylor, je n'avais pas besoin d'une démonstration ici, poursuit-il devant mon manque de réaction. Je sais que la situation doit faire écho en toi, mais les choses sont différentes.

Quoi ?

Différentes ? répété-je impulsivement.

— Nous n'étions pas un couple, tu n'as pas à t'en vouloir de souhaiter que ça s'arrête malgré les circonstances, soupire-t-il, irrité.

Est-ce vraiment ce que tu penses ? Tu as tort !

Est-il utile de vous dire que je perds la tête ? Même ma petite voix intérieure se tait car elle ne peut rien contre ça.

Ce n'est pas ce que tu crois, Evan, commencé-je d'une voix tremblante en rejoignant le pied de son lit. La vérité c'est que...

— Hey la tête brûlée ! nous interrompt joyeusement une voix familière. Regarde ce que les...

Toi.

Je pivote pour découvrir la charmante Ariana ensevelie sous une pile de paquets.

— Oh, pardon ! s'exclame-t-elle. Je ne voulais pas vous interrompre.

Toi.

Vous vous souvenez de la sensation de coup de poignard dans l'estomac ? Parce que je la ressens à nouveau, et c'est abominable.

— Aucun problème, soufflé-je douloureusement. Je partais.

Et c'est ce que je fais en retenant péniblement mes larmes. Je quitte la chambre, le couloir, l'hôpital. Sans ralentir ni un regard en arrière, mais le cœur irrémédiablement en miettes.

***

L'autre côté de la porteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant