22 | Paris et elle.

Depuis le début
                                    

Lorsque le jeune homme s'éloigne celui-ci se fane, et Carly m'enveloppe d'un regard affectueux.

— Tu sais que je pense que c'est pour le mieux, chuchote-t-elle en se penchant par dessus la table. Mais, chérie, est-ce que ça va aller ?

Je passe furtivement mon index sous mes yeux pour arrêter les quelques larmes qui ont tenté de rejoindre mes joues, puis prends une lente inspiration.

— C'est toi qui a raison depuis le début, lâché-je avec dépit. C'était dangereux, et ça l'est de plus en plus.

Sa paume vient me rejoindre par dessus la nappe blanche, et elle m'enlace tendrement.

— Je suis si désolée, Tay, regrette-t-elle.

Heureusement, même si elle est du genre à m'assener des « Je te l'avais bien dit ! » – et que je lui rends bien –, elle ne se permettra jamais de m'épingler de la sorte sur ce sujet.

— Tu n'y es pour rien, protesté-je en forçant un sourire. C'est ainsi.

Comprenant que je ne souhaite pas approfondir la conversation, elle s'enfonce dans son siège en plissant le nez, songeuse.

— Bon ! Qu'est-ce qu'on fait cet après-midi ?! s'exclame-t-elle en forçant l'enthousiasme que nous devrions ressentir toutes les deux à l'idée d'être ici, déjeunant en tête à tête au Keller – le restaurant de notre hôtel parisien – après une matinée au SPA.

— Le plein aux Galeries Lafayette, suggéré-je dans une fausse nonchalance disant thérapie par le shopping ?

Le plein aux Galeries Lafayette, acquiesce-t-elle dans un hochement de tête validant nettement l'idée.

Finalement notre commande arrive, et nous mangeons en passant en revue les derniers détails qu'ils nous restent à régler en ce qui concerne la cérémonie du mariage.

— Tiens, je me trouverais bien de nouvelles chaussures pour ton jour J finalement, pensé-je à voix haute à l'instant où son téléphone se met à sonner.

L'éclat de son visage lorsque son attention se reporte sur l'écran m'est aussi douloureux qu'enchanteur. Oui. À la façon dont ses traits se sont éclairés, je sais d'emblée que Joshua est au bout de la ligne. Il n'est que sept heures du matin à New-York, et je suis émue en réalisant que l'appeler est sûrement la première chose qu'il fait de sa journée. Définitivement, ces deux là sont adorables. Je me souviens parfaitement lorsqu'elle m'a annoncé leur relation, peu de temps après mon réveil. Elle était à la fois heureuse ainsi qu'honteuse. Heureuse car amoureuse, honteuse puisqu'elle avait développé ces sentiments alors que j'étais dans cet état entre mort et vie. Ni là, ni partie. Qu'il lui était difficile d'admettre que je n'occupais pas toutes ses pensées tandis que j'étais inerte et que mon avenir était incertain. Lorsque j'ai pleuré, elle s'est confondue en excuses, littéralement prête à mettre fin à cette romance née dans la pire des situations à ses yeux. Pendant qu'elle m'enlaçait, c'est ma joie, que j'ai murmuré contre ses joues mouillées :

— Je n'aurais jamais voulu que tu sois seule, Lyly.

Voilà la seule chose que j'ai pensé. C'est ce que mes yeux lui ont dit pendant qu'elle essuyait les siens. Alors pourquoi suis-je triste, quelque part, à l'instant où elle rayonne en décrochant ? Parce que je sais que si Evan faisait sonner mon portable, mon expression serait exactement la même. Et c'est effrayant. Parce que moi, je dois renoncer. J'ai commencé, d'ailleurs. En ignorant difficilement ses messages, ne répondant qu'à ceux me donnant des nouvelles de Wyatt, tout en restant distante. C'est le cœur brisé que je me prépare à lui dire que nous ne devons plus nous voir. Que ça ne marche pas. Que je ne veux plus. Même si c'est faux. Que c'est le contraire. Faisant distraitement courir mes doigts sur mon smartphone, je relis nos derniers échanges, et l'espacement de ses envois m'annonce qu'il a déjà deviné. Tant et si bien que son dernier texto d'il y a deux jours disait seulement « Tout est ok pour Wyatt, à bientôt. ». « Merci. Bonne journée. » ai-je répondu. C'est en réprimant un sanglot que je décide de regarder vers Carly afin de m'imprégner de son bonheur et de me laisser porter par lui. Mais l'expression qui m'accueille n'a plus rien d'heureuse, me faisant retenir instinctivement ma respiration. Mon pouls s'emballe tandis que je me redresse pour me concentrer.

Est-ce que Joshua va bien ?!

— D'accord, mon amour, lui dit-elle d'une voix teintée d'angoisse. Je t'appelle plus tard. Je t'aime.

C'était bien son fiancé qui lui parlait, alors je m'autorise une brève inspiration, craignant désormais pour un membre de sa famille. Mais après qu'elle ait raccroché, et pendant qu'elle semble chercher ses mots, je comprends.

Evan.

Avant que sa main ne vienne s'emparer de la mienne pour la serrer avec force, je crains déjà le pire. Et lorsqu'elle ouvre la bouche pour m'annoncer la nouvelle, c'est toute ma résolution de mise à distance qui s'est craquelée pour voler en un millier d'éclats avant que je ne fasse de même. Ce sera irréparable, je le sais. J'ai joué, et ai perdu. Je l'aime, peu importe ce que je vais perdre dans la bataille.

***

L'autre côté de la porteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant