Seulement Toi

Chapitre XIII

       «Calme-toi Alex!» me souffle mon fidèle ami.

              J'inspire un grand bouffée d'air frais afin de chasser mon exaspération et d'accorder une piètre attention à la conversation des Crover qui ne m'est d'aucun intérêt. Je sais déjà la chronologie de la famille Crover, partant de l'arrière-arrière-grand-père de M. Lucas pour ne pas dire l'arrière-arrière-arrière-grand-père de Lucie, trop de répétition et c'est chelou. Bref, je connais assez bien l'histoire des Crover et ce soir c'est à l'honneur  du patriarche de la famille de vanter les prouesses de ses aïeux. Pour mon plus grand malheur, cela fait plus d'une demi-heure que ce dernier raconte avec toute la fierté du monde les exploits de ses devanciers dans de nombreuses domaines.

             Je sais ce que vous vous dites mieux vaut ça que me casser les couilles, et je suis bien d'accord. Il a cessé de parler de moi en tant que le premier des raté et vous m'en voyez ravi. Je ne sais pas pourquoi j'accorde autant d'importance à ses propos, peut être que je le sais mais je peine à l'admettre. Mr Papy Crover est le plus grand des Crover, quand je dis plus grand c'est pas en terme de sa corpulence. En ce sens M. Lucas est le plus grand, même si j'ignore à quoi ressemblait les anciens Crover, je peux affirmer qu'il est bien batti le petit Crover qui sera bientôt mon beau-père. Bref, je m'égare... Je disais tant tôt que Mr Papy Grincheux Crover est le plus grand des Crover en matière d'exploits dans le monde des affaires, il a dévancé toute sa lignée. C'est un homme d'affaire redoutable, respecté et apprécié. Vous pouvez sans doute comprendre pourquoi ça m'affecte tant qu'il soit aussi dur avec moi. Moi qui veux que mon nom soit écrit en l'être d'or sur le panorama des hommes d'affaires  les plus reconnus du monde entier. C'est là mon plus grand malheur, je suis mort... Je suis enterré... Quel drame!!!

           «T'as peut être raté ta vocation Alex! Tu aurais sans doute pu être un grand dramaturge.» me sermonne la voix de la raison.

            Je sais que j'en fait tout un drame pour si peu mais c'est juste moi "Alex", c'est pas étonnant. Bref, assez parler et si on suivait le monologue du Papy Grincheux et qu'on essayait de tirer des sous-entendus, ce serait chouette.

    - ...les Salvador pensaient pouvoir nous détrôner au fil des années mais ils mordent la poussière jusqu'à présent. C'est tellement pathétique de leur part de penser qu'ils pourraient un jour y arriver.

          «Bof!!!  Tuez-moi je vous prie, il n'y a pas plus vaniteux que cet homme.» me dis-je interieurement.

            Il n'y a pas plus pathétique que la tronche qu'il tire à présent. Bien qu'être un idole dans le monde des affaires, cet homme c'est un vrai cobra. Est-ce qu'on ne pourrait tout simplement pas manger en paix sans évoquer les potentiels rivaux des Crover?  C'était un diner pour quoi déjà?  J'aurais eu bien mieux à faire chez moi que de venir écouter Papy Grincheux Crover se gonfler ses chevilles.

   -...j'espère tout de même que tu ne feras pas honte à tes ancêtres. C'était déjà difficile pour moi de te leguer les rênes de l'empire Crover si par dessous tout tu laisses les Salvador nous devancer, tu seras le rusé de Crover pire que tu ne l'as toujours été.

            Comme vous pouvez le constater cette pique est adressée au petit-Crover-qui-sera-bientôt-mon-beau-père pour le mettre sur le droit chemin ou le critiquer (comme vous voudrez.)

   -Ça suffit Adolph! Arrêtes un peu d'embêter ton fils. Le réprimande sa femme avec un regard noir.

             Enfin quelqu'un qui veut bien faire taire ce snob pour le bonheur du monde entier. Un silence plombe toute l'espace, seulement le bruit des couverts se fait entendre. Mais, c'est pas pour longtemps, car la voix du Papy désagréable le brise pour une énième fois.

      -Et toi Junior bis, comment vont les affaires? J'ai appris que ce n'était pas trop la forme ces jours-ci. Tu ne vas pas causé du tort à l'entreprise de ton père toi aussi?

       «Et voilà! Je suis à nouveau la cible! »

    -Laisse le petit tranquille Adolph, tu ne vas pas te mettre à l'embêter lui aussi...

    -Mais...

    -Pas de mais, on n'est pas là pour parler des affaires mais des fiançailles de ta Lulu. Alors pour une fois, soit poli! Le reprend encore une fois sa femme comme si elle parlait à un petit chiot.

       «Tout doux le petit Toutou, soit poli. On ne doit pas mordre les invités.» riais-je à gorge déployée en mon for intérieur.

            Voir le visage du Papy Grincheux Crover se décomposer de la sorte est si jouissif que je ne peux rompre ce sourire qui s'étend sur mes lèvres. Je vais vous décrire ce sourire: vous savez ce sourire qui vous arrive jusqu'aux oreilles pareil à celui qu'avait eu le receptionniste quand il avait découvert que la carte de crédit avait été volée par Kevin. Si vous êtes un fan des films de Noël, vous verrez bien que je parle de: «Maman j'ai encore râté l'avion». Bref, même si le sujet de mes soit disant fiançailles ne me plait pas tant que ça, mais je le préfère que parler de mes débuts en tant qu'homme d'affaire qui n'est pas um sujet plaisant au point où j'en suis.

        «Foutu 10% de merde.»

           Je jette un coup d'oeil à ma fausse fiancée assise en face de moi, c'est sans surprise que je réalise qu'elle cherchait déjà mon regard pour me lancer un de ces messages secret du genre: «Prépares-toi à jouer le jeu.»
On n'a pas vraiment eu le temps de parler du comment on ferra pour nous sortir de ce merdier, mais nous savions bien qu'on ne pourrait pas jouer le jeu encore longtemps. Plus vite on n'y mettra fin, plus vite je n'aurai pas à me coltiner son Papy Misanthrope.