"Chapitre 5"

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Les doigts de Veinko se promenaient sur les courbes de la jeune femme, et il comprit alors? Weeko était bien un vieillard maintenant, mais fut une époque où il était la terreur de ses ennemis, au-delà des murs et des montagnes...
Ainsi, Elséïs avait voulu défendre le lieu qu'elle considérait comme sa patrie, ici...Une ombre atténua sa joie de sentir la jeune femme serrée contre lui.

Quand l'aube les surprit, elle s'était assoupie.

Une dernière caresse sur le corps blanc, puis le seigneur la recouvrit d'une couverture, et s'équipa. 

L'honneur était toujours son guide, Veinko ne pouvait renoncer à son devoir: et connaissant la fierté farouche de celle qu'il aimait, il se refusait à lui laisser l'occasion de vouloir l'accompagner dans ses expéditions guerrières.
Une fois au-dehors de sa demeure, il domina 50 hommes. Tous dévoués, tous armés de sabres, cuirasses, étendards.

Hakinaï lui emmena son destrier blanc, nerveux, et incontrôlable par un autre à cet instant; alors que Veinko mettait le pied à l'étrier, la main de son frère interrompit son geste, les deux regards bruns se croisèrent:

-Te rends-tu au-devant de cette embuscade?

Le Seigneur de la Montagne bondit en selle, retenant par ses jambes l'écart de son étalon immaculé: saisissant le poignard à sa ceinture, le chef répliqua d'une voix audible

-Jamais la honte d'une défaite n'atteindra ce village.

Plus bas, il poursuivit, couvert des acclamations fières,

-Veille sur ce village, Hitsute. Dans les veines qui parcourent ces terres, le sang des samouraïs règne.

Sans permettre une objection, Veinko planta ses talons dans les flancs de sa monture qui bondit en avant, éclair blanc.

Eveillée par les cris gutturaux des hommes s'élançant à la bataille, Elséïs se redressa en sursaut sur la natte, solitaire. 
En hâte elle se couvrit de son vêtement, jaillit à l'extérieur; déjà les derniers cavaliers disparaissaient dans un nuage de poussières que doraient les pâles rayons. 
Eperdue, accablée, la jeune femme ne savait quoi faire, pour la première fois depuis ces dix années années au Japon.

Sa conduite était pourtant toute dictée. Attendre et servir ici. D'une part son honneur était partagé entre répondre au devoir d'une femme aimante, d'autre part son sang d'occidentale rechignait à plier sa fierté et ses sentiments...

-Mon frère vous veut ici, pour protéger ceux qui ne peuvent pas se défendre.

Elséïs fit face à Hitsute, inclinant sa tête. Elle plierait donc...


Durant tout le jour qui lui parut éternel, la jeune femme arpenta le village, apportant son aide, proposant ses services pour l'épouse d'Hitsute.
Et, lorsque le ciel s'incendia, pour s'empêcher de penser aux combattants, elle s'exerça...Jusque dans les ultimes éclats amarantes de l'astre mourant...
Elle s'était écartée des habitations, et entendit soudain une galopade, ressentit la vibration du sol sous le crépitement rythmé des sabots.

Le destrier immaculé était-il revenu avec son cavalier? 

Dans l'obscurité naissante, la silhouette imposante d'un guerrier à cheval se découpa, s'arrêtant net, auprès de la jeune femme, dans un tintement de métal.
Le choc sourd de l'homme qui met pied à terre.

Elséïs retint, comprima son élan, encore fébrile et douteuse quant à l'identité de l'ombre qui s'avançait vers elle: tentant de masquer l'angoisse poignant qui se révélait même dans sa voix, elle s'essaya à l'humour

-Les pétales de vos cerisiers...elles ne sont pas encore tombées.

Un silence. L'arrêt de l'ombre.
Les inflexions douloureuses de la silhouette féminine l'avait-il persuadé d'accorder un répit avant l'annonce de la nouvelle? 

-Quand, Madame, la noblesse coule dans son être, celui-ci tient jusqu'au bout.

Un poids immense se dégagea de la poitrine d'Elséïs, et les deux ombres ne firent qu'une, l'espace d'un baiser.

-Est-ce enfin terminée...
murmura-t-elle, après s'être séparée de lui.
Veinko caressa de son pouce la pommette humide, reconnaissant la terrible vérité. 

-Demain, toutes nos forces seront lancées dans une nouvelle charge, qui pourrait se révéler fatale, pour l'une des parties.

Demain est un autre jour.
Revenant à la pièce de repos du seigneur, Elséïs put détailler les traits nobles et décidés du samouraï, la fatigue fière qui animait son beau visage.
Lui se contentait de s'enivrer de la présence de la jeune femme, de sa chevelure noisette, de l'éclat précieux des prunelles saphir...

Avec grâce et douceur, elle détacha une à une les pièces constituant l'armure argenté et pourpre, la seconde couche d'habits protégeant la peau du cuir, et la première...

Les yeux bruns foncés plongèrent dans ceux d'Elséïs, et son bras las de manier le katana attira la jeune femme à lui.


Leurs jambes emmêlées ne se dénouaient plus, et les cheveux opulents d'Elséïs s'épanchaient sur les pectoraux de Veinko. Le seigneur redécouvrait la douce peau, le dos pâle et les formes de son aimée...
Pensive, Elséïs ne retint pas plus longtemps la pensée qui la taraudait

-Vous ne vouliez pas que je vous accompagne...

Il caressa le visage harmonieux de son amante, tournant son visage vers elle

-C'était ma volonté. Pour protéger la femme que j'aime, et pour respecter nos devoirs.

-Alors demain...

Il ne fallait pas de paroles, Elséïs savait qu'il n'autoriserait pas plus ce qu'aujourd'hui il avait refusé.
C'était leur devoir.

Elle-même le revêtit du cuir protecteur, domptant son esprit révolté pour lui offrir un sourire.
Veinko savait ce qu'il fallait d'abnégation à la jeune femme pour se résoudre à cette conduite; il crispa sa mâchoire. 
L'honneur, toujours l'honneur.
Les hommes meurent, l'idéal subsiste.

Elle à ses côtés, il se rendit à l'encontre de ses guerriers, des samouraïs qu'abritait la Montagne des Glaces Printanières. 
Une ovation accueillit son apparition. Certes, ils n'étaient pas prêts, est-on jamais prêt à mourir.
Mais ils étaient prêts à payer de leur vie la défense de leurs convictions. 
On lui présenta une nouvelle bête, particulièrement belle et impressionnante, un étalon du noir le plus profond, dont le pelage luisait. Veinko passa une main admiratrice sur la croupe puissante de l'animal, admira le port superbe du cheval, l'enfourcha.

Comme au premier jour, il se tenait, droit et fier, le regard rivé sur une femme.
Et, sans un mot, du pas impérial de l'étalon, l'armée s'ébranla, saluée des habitants.

La jeune femme regarda le flot des guerriers se distendit et s'écoula hors du village, par une route sinueuse. 

Elséïs n'arrivait pas à se convaincre que les laisser partir à une mort inévitable soit son devoir, et l'accomplissement de son honneur...


Une guerrièreWhere stories live. Discover now