"Chapitre 2"

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Elséïs se redresse: elle a perçu les inflexions presque respectueuses, cependant la jeune femme sait que cette contrée le respect véritable s'acquiert d'une autre manière.
Hitsute la conduit, freinant son pas par politesse envers leur "hôte", la voici devant un petit plateau herbeux où une dizaine de cavaliers s'entraîne, usant de sabres en bois.

Une nouvelle inclinaison, l'homme s'éloigne.

Elle s'accroupit parmi les hautes herbes sèches, attentive aux déplacements harmonieux des samouraïs et à leurs actions fulgurantes_ Placé au centre du cercle que forment 9 chevaux., un homme attend patiemment, son étalon piaffant énergiquement_ Elle reconnaît le visage qui s'est déjà tourné deux fois vers elle hier, les prunelles brunes et paisibles, les cheveux ébènes dont une mèche flotte au vent.

Alors que leurs regards se croisent, un des cavaliers autour charge le Seigneur de la Montagne des Glaces printanières. Les yeux sombres se détournent de la jeune femme pour s'attacher à son assaillant, et le corps souple de l'homme esquive l'habile attaque, puis abat le plat de son arme factice dans le dos de son adversaire, le déséquilibrant. 

La mêlée s'engage avec tous, l'espace d'une seconde le chef est caché au regard clair d'Elséïs. Puis ses hommes s'écartent, un sourire fin sur les lèvres, laissant place à Veinko.
Il presse son étalon, saute à terre d'un bond léger, s'arrête à quelques pas de la jeune femme, et s'adresse à elle avec une relative...indifférence? Pourtant les étincelles dans les prunelles châtaignes la dissuadent de cette impression. 

-Bonjour. Mon nom est Veinko Moto.

Il la scrute, puis reprend d'une voix posée, que son attitude ne dément pas;

-Jusqu'à la fin de cette guerre, vous êtes mon hôte.

Elséïs connaît les règles de la bienséance de ce pays, et elle répond doucement

"Merci...Seigneur. Je m'appelle Elséïs."

Mais la jeune femme ne retient pas un sourire désabusé; que lui réserve cette semi-captivité pour une femme d'origine européenne?
Le Japonais, qui s'apprêtait à repartir, interrompt son geste, pour rajouter, un peu curieux:

-Qui vous a enseigné nos coutumes?

Le teint pâle et fatigué d'Elséïs s'illumine d'un franc sourire, plus amusé que gêné:

"Seigneur, je ne suis qu'une femme qui défendait sa maison, pas un guerrier formé par un seigneur voisin."

Sur ce, elle inclina sa tête, et repartit à faible allure vers la maison. 
Veinko fut pensif quant à cette répartie. Les samouraïs n'avaient pas pour principe de tuer une femme qui ne soit pas guerrière, surtout en combat. C'était un déshonneur. Cet acte qu'elle avait accompli pouvait être considéré comme une grave offense. Cet acte aurait du froisser l'homme, mais il sentait un autre genre d'honneur chez cette femme venant d'une autre contrée.
Qu'entendait-elle par "défendre sa maison" ? Parlait-elle du Seigneur Irotama, son ennemi à ce jour? Ou de ses biens propres?

Peu importe, pensa-t-il ensuite, à cette heure son devoir consistait à résoudre certains problèmes concernant la prochaine expédition qu'il allait mener contre celui qui avait déclaré les hostilités.

Elséïs se sentit brusquement sans force, elle s'écroula sur la latte, tordue par une douleur lancinante, à crier ; mordant dans sa couverture, la jeune femme ne put s'empêcher de hurler sourdement_
La palissade de bois coulissa, dans un discret glissement, et la douce femme de la veille s'accroupit auprès d'elle, lui tendant un bol d'où un fumet épicé s'échappait.

-Buvez, je vous prie.

Les gorgées amères finirent par apaiser ses maux, et Elséïs jeta un regard plein de gratitude à l'épouse, que celle-ci lui rendit, bien que plus tendu.

Lorsque le maître du village revint, il entrouvrit d'une main inhabituellement curieuse le léger panneau; le visage maintenant calme de l'inconnue, de cette Elséïs, le porta à nouveau à des réflexions qui étaient assez surprenants, comparées à ses songes normaux...Ses yeux n'étaient pas accoutumés à la beauté claire de l'étrangère, et , un instant, il s'abandonna à son imagination.
Le sentiment d'une présence le détourna de sa contemplation impromptue, et il se retourna vers sa belle-soeur: celle-ci esquisse un salut, et invite le seigneur à venir souper.




Le lendemain, Elséïs sentit déjà son corps plus aguerri, et sortit aux premières lueurs de l'aube; tous se sont lancés dans la quête de la perfection de leurs tâches...Certains à confectionner les sabres tranchants et empreints de la noblesse millénaire, d'autres à une méditation dans l'air reposé du petit matin, d'autres à aiguillonner les capacités physiques.
La jeune femme, se dirigeant vers le pré où paissaient les chevaux, pensa alors à sa monture si courageuse et fidèle, abattue d'une flèche...
Elle s'installe au-devant du lieu où s'exercent par binômes les samouraïs, rompant leurs corps aux arts martiaux: la jeune femme sait que regarder et écouter est la première leçon pour apprendre.

Soudain, une main effleura le tissu qui la couvrait

-Vous voudriez apprendre.

Veinko affirmait plus qu'il ne questionnait, et ses prunelles perçantes notèrent la légère rougeur qui envahissait les pommettes de son invité_

"Seigneur, pour la même raison que je n'ai pas été vaincue, vous ne pouvez m'enseigner."

Aucune réaction sur le beau visage impénétrable du chef. Néanmoins, il répliqua cordialement.

-Je n'ai pas dit que je vous conviais à cet entraînement.

Elséïs baissa un peu son regard translucide, regrettant de s'être emporté, car dans ce domaine un tel peuple est rarement vaincu, ou le cache soigneusement par une politesse fine.
Le meneur des samouraïs esquissa un sourire, conscient d'avoir atteint, peut-être, la fierté de la jeune femme, mais au fond de lui il ne souhaitait pas que ce fusse le cas.

-Je ne sous-estime pas les femmes, bien au contraire. Mais je suppose que, dans l'ordre des choses, elles ont un rôle différent. Notamment dans votre culture.

Abandonnant Elséïs, Veinko alla quérir son frère et murmura un mot à son oreille.
Quant à elle, elle reporta son attention sur les duels.



Alors qu'elle explorait les environs, elle s'émerveilla devant l'étonnante nature qui parait de ses plus belles pierres la mentalité de ce village. Les cerisiers présentaient leurs fleurs rosées, d'une unité parfaite, doux présent qui s'étendait sur les dernières glaces immaculées qu'achevaient les fils d'or du soleil.

Un galop étouffé, le renâclement du cheval...deux chevaux!
Hitsute, les brides dans la main, approchait rapidement

-De la part de Veinko, en compensation de votre monture.

La jeune femme vit avancer vers elle un étalon superbe, à la robe brune, crins noirs, et d'immenses yeux intelligents.
Touchée par cette attention particulièrement délicate, Elséïs saisit les rênes de cuir, flattant l'encolure puissante, et elle remercia d'un regard éloquent le frère de ce généreux donateur.
Il s'inclina, et ajouta, comme contraint:

-Et mon frère m'a chargé de vous proposer l'enseignement des bases de nos tactiques de combat.

Toujours la main posée sur le pelage frémissant de la nouvelle monture, la jeune femme ne sut que répondre, et regarda l'homme s'éloigner sur son destrier gris.

Elle n'imaginait pas que le Seigneur de cette Montagne puisse vouloir la froisser en lui laissant avec pitié une parcelle de leur savoir...

Son bras gauche est encore quasiment inutilisable, sa jambe droite est douloureuse, son abdomen également, mais d'insupportable. Aussi Elséïs décida d'enfourcher l'étalon. Après quelques essais infructueux, la jeune femme parvint à se rétablir sur la selle, un peu anxieuse des réactions de l'animal. Celui-ci se contenta de partir à un pas actif.


Une guerrièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant