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Maître Yengo s'assit tranquillement sur l'herbe encore humide de rosée, posa ses mains sur ses cuisses et inspira profondément l'air parfumé. Son visage, qui commençait à porter la trace de longues années d'existence, se tranquillisa et un début de sourire flotta sur ses lèvres. Le matin était son moment préféré de la journée.

Comme à chaque fois qu'il était inoccupé, les souvenirs de sa vie trépidante se mélangèrent dans son esprit et ressurgirent par bribes. Mais Maître Yengo avait appris à accepter ce qui s'était passé et à pardonner. Ses yeux étaient maintenant fatigués de pleurer, sa gorge usée par les cris et son cœur avait assez haï pour plusieurs vies.

Des visages d'amis qui avaient depuis longtemps quitté ce monde s'imprimèrent quelques instants sur ses paupières fermées, avant de se dissoudre dans la chaleur colorée de ce matin ensoleillé. La douleur, elle aussi, était sourde et supportable. Maître Yengo la portait avec fierté, cette douleur, comme on porte un deuil. Ses amis, il ne les oublierait jamais.

Il pouvait pardonner, oui. Mais oublier ? Jamais !

Alors pour ne pas oublier ce qui ne devrait jamais l'être, il se remémora.



Yengo était né un de ces matins de printemps fleuris qui mettent de bonne humeur. D'ailleurs, il n'avait pas pleuré quand ses yeux avaient pour la première fois été éblouis par la lumière. Il avait ri, un joyeux bambin s'agitant dans la douce luminosité de la saison printanière.

Et cette lumière colorée, il la porterait jusqu'au bout. Mieux encore : il la partagerait dans les moments les plus sombres.

Yengo n'était pas comme les habitants de Primordia. Il était différent. Il était métis. Sa mère appartenait au peuple des Mufole. Il se souvenait d'elle comme une femme forte et indépendante, aux mains puissantes qui travaillaient la terre du matin jusqu'au soir, aux traits doux et au sourire contagieux. Son père, il ne l'avait jamais rencontré. Un Aerifi qui avait préféré sacrifier son enfant à sa carrière d'élite. Sa mère l'avait donc élevé seule.

Le seul problème venait du fait que Yengo ne ressemblait pas vraiment à un Mufole. Il avait la peau trop pâle, d'un vert tirant plus sur l'argenté. Ses yeux aussi, d'un gris clair qui lui donnait un regard perçant, il les tenait de son père.

Vivre caché, donc.

Le Grand Maître ne tolérait pas vraiment ces métis, qui bouleversaient toutes les lois de la génétique et qu'il jugeait dangereux. Yengo avait trouvé l'explication bancale, mais il savait maintenant depuis de nombreuses années que le but du Grand Maître n'était que d'affaiblir les habitants de Primordia. En séparant les peuples, c'était leur descendance qu'il affaiblissait. Les métis auraient augmenté la population de manière bien trop importante, et en cas de révolte, même la Garde d'Or et les Teneus n'auraient pas suffi.

Yengo ne faisait donc rien de ses journées à part étudier. Lorsqu'il eut lu tous les livres que sa mère avait pu lui trouver, il se mit à écrire.

Et il écrirait aussi jusqu'au bout.

Son enfance avait été longue et ennuyeuse. Mais dès qu'il eut l'âge de partir, il fit ses adieux à sa mère, adressa un au revoir silencieux à un père qu'il n'avait jamais rencontré, lança un regard de défi en direction du sombre palais du Grand Maître, et partit en chantonnant sur les chemins caillouteux de la Forêt Vierge. Il atteignit bien vite les Mines du Vallon, qui n'étaient pas très loin de la redoutée Terre de l'Ombre, et trouva là les cavaliers gris.

De drôles de gars, ceux-là.

Il apprit auprès d'eux nombre de choses, qui avaient rempli maintes et maintes pages de ses cahiers. Certains avaient d'ailleurs trouvé leur place dans la bibliothèque des cavaliers gris.

Elements Tome 2 : L'Echo du PasséМесто, где живут истории. Откройте их для себя