Repérage aérien

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– Sous-lieutenant Franz à la Base, zone atteinte, énonçai-je distinctement. J'attends l'autorisation de survoler, parlez.

Un moment de silence relatif. Le moteur du vieil avion cabossé prêté par le QG vibrait, tuant le calme de la plaine. Son hélice tournait follement tandis que je longeais la rizière.

Demain, ce serait Noël. Je bénéficierais d'une permission pour rentrer chez moi une semaine. Mais pour l'instant, j'étais bloqué dans un trou perdu du Cambodge. Nos radars avaient détectés des mouvements suspects. Le QG m'avait choisi pour une mission de repérage.

Une chance incroyable.

Un grésillement me ramena à la réalité. Reconnaitre la voix âcre de mon correspondant logistique ne fut pas compliqué, même avec toutes les interférences de notre matériel bas de gamme.

– La Base au sous-lieutenant Franz, autorisation accordée. Soyez prudent, terminé.

Machinalement, mes doigts abaissèrent quelques boutons, en relevèrent d'autres. D'un coup d'oeil, je vérifiai les nombreux cadrans, la position de leurs aiguilles, avant de pénétrer la zone, survolant la rivière.

À première vue, tout semblait paisible. L'eau s'écoulait tranquillement dans le creux de la vallée. Sans trop de remous, elle offrait un calme apaisant. Sa couleur, un brun léger tirant vers le jaune, était translucide, permettant ainsi d'observer les poissons qui filaient dans le sens du courant.

De part et d'autre, des escaliers de culture grimpait sur les flans des collines. Parfois, des routes les serpentaient, jalonnées par de rares maisons. Des bosquets d'arbres abritaient les sommets et, au loin, joignaient les nuages.

Une première chose me marqua.

Personne.

Aucun paysan dans les rizières infinies. Pas de petites voitures sur les routes escarpées. Un silence dénué de chant d'oiseau, seul avec le bruit de mon moteur. Je ne côtoyais que l'écoulement de la rivière et le vent qui couchait le riz et battait les feuilles d'arbres.

Heureusement qu'il ne pleuvait pas. Je n'aurais su, dans cette tranquillité pesante, supporter la pluie qui aurait tapé contre la vitre de l'avion. J'étais déjà en nage sous cette chaleur humide qui trempait ma combinaison.

Inconsciemment, j'accélérai comme si la vitesse m'aurait permis de quitter au plus vite cet endroit. L'hélice tourna plus vite, le vent siffla plus fort, d'étranges taches orangées apparurent au loin.

Un sentiment de déjà vu s'empara de mes mains et je dus fournir un effort surhumain pour ne pas les laisser faire demi-tour.

Non, impossible. Ça ne pouvait être cela.

C'était fini. On avait réussi à les arrêter.

– La base au sous-lieutenant Franz, grésilla la voix âcre. Que voyez-vous ? Parlez.

Je sursautai, brusquement ramener à la réalité.

– Sous-lieutenant Franz à la Base, tout est assez calme. Trop calme. Aucune trace de vie hormis des poissons. Je vois des lumières au loin, je vais m'approcher, terminé.

Je fis perdre un peu d'altitude à l'avion, frôlant presque l'eau désormais. Mon rythme cardiaque accéléra, de grosse gouttes perlèrent sur mon front.

Au fur et à mesure que je m'approchais des lueurs orangées, il me semblait que la rivière fumait. J'avais de plus en plus chaud. Cependant, ce n'était pas seulement dû à mon stress. Il faisait de plus en plus chaud.

Une bulle se forma devant l'avion. Elle gonfla, explosa juste avant que je ne la survole. Mon regard se reporta sur les taches flamboyantes et l'horreur me saisit. C'était bien ce que j'imaginais.

RecueilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant