Agent ML

Partie 4. Chapitre 1

- Voilà, tu sais tout maintenant.

Mario m'avait écoutée attentivement tout le long, le visage concentré, sans intervenir.

Après un bref silence, il dit :

- C'est assez grave. Tu intègres une société d'espionnage sans avoir été formée. Non pas que tu n'as pas de talent, bien au contraire, mais tu ne connais rien. Ça explique beaucoup de choses. Pourquoi tu es arrivée au mois de novembre, et non en septembre. Pourquoi tu posais toujours plein de questions évidentes. Tu aurais dû m'en parler avant !

- Tu crois qu'il faut le dire à Julien ?

- Surtout pas ! s'écrie-t-il un peu trop fort. Tu serais renvoyée pour n'avoir rien dit. Honnêtement, je pense que tu peux faire semblant. Tu as beaucoup de qualités nécessaires pour ce métier. Il faut garder ça secret.

- Donc, je fais semblant ?

- Tu fais semblant.

Silence.

- Je... je pensais à quelque chose...

- Oui ?

- Tu ne m'as jamais parlé de ta future section, que tu intègreras l'an prochain. Julien m'a dit que ce sont les stagiaires qui changent de section après.

- Ah, dit-il en s'assombrissant soudain. Je ne sais pas. Les gens me voient en section 7, intrusion, ou en section 4, enquêteur...

- Mais ?

- Mais moi, je ne me vois dans aucune des sections.

- Comment ça ?

Il prend une grande inspiration, et déclare :

- J'aimerais rester en section 1. M'occuper des dossiers, ça me plait. J'ai envie d'être dans une équipe, d'en faire partie, d'aider les autres... Mais je ne vois pas quelle section m'irait mieux que celle-ci. J'aime écrire. Pas écrire des histoires, mais garder des... des traces, pour se souvenir. C'est ce qui reste de ce que l'on fait, c'est super important.

- Ce n'est pas un problème, si ?

- Bien sûr que si ! s'emporte-t-il. Tu le sais, ce sont des stagiaires, normalement. Je ne peux pas rester stagiaire indéfiniment ! Mais surtout, c'est par rapport à mes parents. Tous deux dans la SIP, avec des sections prestigieuses. Ils veulent que je sois comme mon grand frère, « un homme, un vrai ». Ils pensent que je suis comme lui, mais... ce n'est pas le cas. Je ne serai jamais à la hauteur de leurs attentes.

- C'est-à-dire ?

- Ben... je ne sais pas, quelqu'un de fort, de sûr de lui, intelligent et populaire.

- Parce que ce n'est pas ton cas ?

- Enfin, ML, regarde-moi ! Je suis petit, maigre, moche, insignifiant et j'ai pour ambition d'écrire des documents pour les archives ! Je suis décevant.

- Hé, ça va ! lui dis-je doucement. Tu n'es ni moche, ni décevant ! Tu es juste... toi ! Et cela me suffit ! Tu complexes à cause tes parents,

mais leur as-tu parlé ne serait-ce qu'une fois de ce que tu ressens ? Tu n'as pas besoin de t'efforcer d'être ce que tu n'es pas. C'est ton rêve ? Tant mieux ! Tu n'as plus qu'à le réaliser !

Il secoue la tête, l'air fatigué.

- Tu ne comprends pas. Tu ne peux pas comprendre. Peut-être que tu vis dans le monde des bisounours, mais ce n'est pas forcément le cas de tout le monde. Laisse tomber, dit-il en me tournant le dos.

Ses paroles me font l'effet d'un coup de poing.

- Attends ! je voulais juste te réconforter ! Je suis si horrible que ça ?

Rien à faire, il ne se retourne pas, et me laisse toute seule avec mes questions.

Suis-je vraiment comme cela ? Les gens croient-t-il que j'ai une vie parfaite ? Que je n'ai pas de problèmes ? Des larmes de colère commencent à monter. Ce n'est pas le cas ! J'ai des problèmes, moi aussi ! Pour moi non plus, rien n'est simple ! Eux n'ont pas à subir des remarques homophobes chaque jour, alors qu'ils n'ont rien fait ! Eux n'ont pas à avoir peur de se faire renvoyer de la SIP parce qu'ils n'ont pas été formés ! Eux n'ont pas à se soucier de leur arrière-grand-mère qui risque de mourir un jour ou l'autre ! Je ne suis pas aussi égoïste qu'ils le disent.

Si ?