Partie 2. Chapitre 1

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La lettre est arrivée. Je tiens dans mes mains la preuve vivante – ou plutôt de papier- que je suis inscrite à la SIP. Que je n'ai pas rêvé.

C'est une lettre simple dans une enveloppe en papier kraft, avec inscrit mon simple nom et mon adresse, mais pour moi elle est aussi inespérée que la lettre de Poudlard.

Je l'ouvre :

Chère Marie-Laure Colin-Boulanger,

Votre demande de transfert à l'école privée de la SIP au cours du premier trimestre a été acceptée, après avoir suivi votre formation de section 4.

Vous êtes conviée à vous présenter le lundi deux novembre à 8 heures pour votre première journée de cours au 42, rue Germinaux, Aix-en-Provence, 13530. Vos horaires seront le lundi, mardi, mercredi, jeudi et vendredi de 8 heures à 17 heures. Vous devrez vous munir du matériel nécessaire pour les cours (feuilles, stylos, crayons, ciseaux, colle en tube, gomme, règle, taille-crayon, un classeur, intercalaires, œillets, cahier de brouillon, copies simples etc).

Le programme scolaire de l'Education Nationale sera respecté. Vous suivrez vos cours à distance dans le bâtiment. Les détails vous seront communiqués durant votre premier jour de classe.

Nous espérons sincèrement que vous vous plairez dans notre établissement.

Mes sentiments distingués,

Jean-Louis Rémi, directeur de l'établissement privé SIP.

Quand j'accepte enfin de lâcher ma lettre, je suis capable de la réciter en intégralité.

En revanche, je ne comprends pas de quoi veulent-ils parler en disant « la formation ». Sans doute qu'ils veulent désigner l'entretien avec Lara Penkins. Elle a dû trouver que j'irais bien à la section 4.

Nous sommes le vendredi 17 octobre. C'est donc ma dernière journée de cours au collège Katherine Johnson.

Lara Penkins m'a bien mise en garde : je risque d'être virée avant même mon premier jour de cours si je parle de la raison pour laquelle je quitte le collège à la moindre personne. C'est pour cela que je raconte tout de A à Z à Margot pendant la récré. Je n'ai pas peur. Je suis discrète, après tout, je suis une espionne.

On a beaucoup pleuré. C'était émouvant.

La journée passe au ralenti ; dans les couloirs, j'ai l'impression que les gens sont beaucoup plus lents que d'habitude. C'était comme si une bulle floue s'était formée autour de moi. Les sons et le brouhaha me semblent lointains, comme si j'étais sous l'eau. Même M. Moulin-Marque a l'air gentil et naïf aujourd'hui. Je porte en moi ce secret, ce talisman, qui me faisait me sentir calme et sereine. S'ils savaient...

A la sortie, je me retourne une dernière fois pour observer la façade décrépite et taguée de l'établissement avec des dessins déplacés et des mots vulgaires. Une bourrasque de nostalgie me serre me coeur.

Les souvenirs défilent. Puissants, réels, je les vois comme si c'était hier. Remarque, c'était hier.

Le jour où j'ai rencontré Margot à l'infirmerie. Le jour de ma rentrée en 6e. Le jour où j'ai avoué à tout le monde que j'avais deux mamans. Le jour où je me suis cassé la jambe en trébuchant dans les escaliers. Le jour où on a fait une collecte pour les sans-abris. Le jour où j'ai été élue déléguée. Le jour où j'ai eu une heure de colle pour être allée dans une salle de classe vide chercher la trousse que j'avais perdue. Le jour où j'ai eu un choc parce que je n'étais plus la plus petite du collège. Le jour où Margot a eu ses règles pour la première fois. Le jour où nous nous sommes disputées à cause d'une simple opinion sur le menu de la cantine. Le jour où nous nous sommes réconciliées. Le jour où une

troisième qui gloussait comme une pintade m'a fait la bise alors que je ne la connaissais pas. Le jour où Margot a appris que ses parents divorçaient.

Plus ou moins tristes, plus ou moins joyeux, je les vois devant moi. Les larmes commencent à arriver. Je souris malgré tout.

Cela me rappelle lorsque j'avais quitté l'école élémentaire. Toute la classe était là, assis sur le banc, à pleurer comme des madeleines, se tenant la main, disant au revoir à notre maître d'école, M. Galet, une personne inoubliable. Sauf que maintenant, je suis seule.

J'imagine les élèves, demain, disant aux profs que j'ai changé de collège, pendant qu'ils font l'appel, totalement indifférents à mon absence, puisque les classes changent chaque année. C'était bien, la solidarité du CM2...

M'autorisant une chose que j'ai toujours rêvée faire, je grimpe sur le mur. C'est facile, car il est plutôt bas. Une fois debout sur son extrémité, essayant d'ignorer mon vertige, je prends une longue inspiration, puis hurle sur le parking, qui résonne de ma déclaration subtile et émouvante devant les regards ébahis des collégiens :

- AU REVOIR !!! VOUS ME MANQUEREZ, FACES DE RATS !!!

Agent MLWhere stories live. Discover now