Chap.29 : Les feuilles mortes

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- Connaissez-vous La chanson de Prévert de Gainsbourg ? Je ne saurais vous dire pourquoi, mais elle me trotte dans la tête depuis ce matin...

Je ne voyais pas du tout de quoi Jonathan voulait parler. Nous étions dans la cuisine, où il rangeait ses commissions. Il avait ouvert en grand le frigo américain qui trônait dans la pièce comme une oeuvre d'art (d'après moi, il avait aussi dû en coûter le prix) et y plaçait des barquettes de fraises et de chantilly, des courgettes et ce qui me sembla être des côtes de boeuf.

- Pour le barbecue de ce soir", me dit-il sans tourner la tête vers moi, toujours occupé à remplir le frigo."Et Gainsbourg alors ?"

- Cette chanson ne me dit rien du tout, désolée.

Il avait le don de me mettre mal à l'aise. A ses côtés, je ne me sentais jamais à la hauteur, pas son égale. Alors si en plus il me posait des colles sur les vieilles chansons de Gainsbourg, là, j'étais mal.

- "Et chaque fois, les feuilles mortes, te rappellent à mon souvenir. Jour après jour, les amours mortes n'en finissent pas de mourir", c'est beau, non ?

- Euh oui, oui.

- Je parie que vous préférez Lady Gaga...C'est normal, c'est plus de votre âge.

- Oh mais on a juste quelques années d'écart, non ?

- A vous de me le dire...

Il s'était assis en face de moi, sur l'un des tabourets de bar de la cuisine, et avait plongé ses yeux dans les miens. Il avait le regard d'un chat malicieux s'apprêtant à piéger la souris qui s'est aventurée un peu trop loin pour un bout de gruyère.

Je grimpai à mon tour sur un tabouret et je lançai :

- J'ai vingt-cinq ans...vous devez en avoir trente...trente-deux...

Il me regarda encore un instant avec un amusement non dissimulé puis éclata de rire. Son visage partit en arrière et ses lèvres pleines, si joliment dessinées, découvrirent une rangée de dents parfaites.Ce mec avait été dessiné par Dieu lui-même.

- Vous êtes loin du compte ma chère Alix. J'ai quarante ans, presque quarante-et-un.

QUOI ! QUOI ! Non mais réveillez-moi ! J'étais en train de rêver, de cauchemarder, tout à coup ma vie n'avait plus de sens ! Jonathan Rivière, le beau Docteur Rivière, à la peau si lisse et au regard si clair avait quinze ans de plus que moi. J'ai eu envie de me jeter la tête la première dans un pot de Macadamia Nut Brittle Häagen-Dazs et d'en lêcher tout le contenu jusqu'à ce que mort s'ensuive.

Puis je me ravisai. Après tout, on était en 2015 et l'écart d'âge dans un couple, si grand soit-il, n'était pas toujours voué à l'échec. Exemple : Céline Dion et René. Charlotte et Gad Elmaleh...Enfin, bref, ça existe, quoi !

J'étais juste en train d'oublier qu'en plus de tout ça, il était fiancé.

Jonathan continua de sourire un instant, avant de se lever et de finir de ranger le reste de ses commissions. Un pack de cannettes de Coca Zero, deux paquets de tortillas, du Sopalin...Et il se mit à fredonner, sans plus faire attention à moi.

- "Et chaque fois, les feuilles mortes, te rappellent à mon souvenir. Jour après jours, les amours mortes n'en finissent pas de mourir".

Je me levai du tabouret et me rapprochai de lui, pour au moins faire semblant de l'aider à ranger. A un moment, il me tendit un un paquet de chips. Nos doigts se frolèrent. Il me jeta son regard de chat malicieux et lança.

- Bon on se tutoie, non ?

J.F cherche bonheur, désespérémentWhere stories live. Discover now