Narcisse • « Des abysses à la surface »

Depuis le début
                                    

Un hurlement strident me fait bondir du lit, me tire de ma rêverie. La porte de ma cabine claque contre le mur du couloir, tandis que je détale pour rejoindre Léonie. Des pleurs incontrôlables passent au travers de sa porte fermée. Quelques têtes sortent dans le couloir, les murmures s'élèvent, mais je ne leur prête aucune attention. Quand je rentre, je la vois, assise sur le lit, le corps agité de spasmes, des larmes passant entre ses doigts écartés. Je referme la porte, l'aide à se rallonger.

Elle tremble, elle gémit. Elle balbutie des mots qui n'ont ni queue ni tête. Elle parle de chasse, elle parle de chevaux. D'une nuit sans lune et d'une créature ressemblant à un rat et difforme au possible. Mes bras l'enveloppent, je reste près d'elle, à attendre qu'elle se calme, qu'elle se rendorme. Je ne sais pas qui d'elle ou de moi plonge en premiers dans les profondeurs du sommeil.

Aussi, quand je me réveille le lendemain, je suis bien surpris de ne voir personne à côté de moi. Surpris, mais je m'inquiète. Léonie, avec son mal de mer, pourrait bien être dans un coin, en train de se demander à quel moment son estomac allait se retourner. Je me redresse comme un beau diable, passe distraitement une main dans mes cheveux. Je passerai dans les commodités un peu plus tard, ma priorité reste de surveiller Léonie.

— Ah ! Te voilà !

Penchée par-dessus le bastingage, ses doigts tellement crispés sur le bois abîmé que ses phalanges blanchissent, Léonie ne réagit pas à mon appel. Si elle continue ainsi, elle va finir par casser le parapet. Je me mets à côté d'elle, et cherche à voir son visage sous ses cheveux emmêlés. En vain. Elle aussi a dû sortir sans passer par la salle de bain.

— De l'air frais... Je voulais... juste de l'air frais.

Compréhensible ! Rester autant de temps dans le même espace étriqué pourrait rendre n'importe qui complètement stressé. Et l'air finira bien par être trop vicié, à un moment donné, dans la cabine.

— Désolée... pour cette nuit. Un cauchemar.

J'aimerais lui dire qu'elle n'a pas à se forcer à parler. Seulement, c'est elle qui le fait. Avec moins d'angoisse que la veille, elle me raconte les détails de son rêve. Elle dit avoir été sur un cheval, une épée ceinte à sa hanche. L'exaltation de la chasse parcourait ses veines, tandis que les hennissements et renâclements des montures résonnaient. Tout est détaillé ; de sa chevelure de neige attachée en une queue de cheval dont certaines mèches viennent fouetter son visage, à la silhouette d'un homme à ses côtés dont elle ne voyait à nouveau que les cheveux blancs en passant par la monstruosité.

Un maudit. Elle a rêvé d'un maudit ; ces pauvres êtres soumis aux affres d'une malédiction, condamnés à se transformer de plus en plus souvent en une créature difforme avant de voir leur âme consumée par la Bête et ne devenir plus rien d'autre qu'une abomination assoiffée de sang. Je l'ai compris, car jamais Léonie n'aurait pu être si précise sur la marque au fer rouge sur la main de la créature qui a tenté de lui arracher un œil.

Enfin, qui a tenté d'arracher un œil à la personne de son rêve. Maintenant, il ne me reste plus qu'à savoir si ce songe reflétait un événement du passé, du présent ou d'un futur plus ou moins proche. Léonie relève la tête, le visage crayeux et inspire profondément. Quand son regard croise le mien, j'y cherche les éclats améthyste typiques de celles et ceux qui ont un pied dans l'Autre Monde. Mais rien. Ses iris sont aussi bleus que ceux de ma mère sont noirs. Je fronce du nez.

Le bateau remue, plus fortement qu'avant. Léonie, toujours pâle comme un linge, trébuche sur un homme qui laisse échapper une bouteille. Je n'ai pas le temps de rattraper la jeune femme qu'elle glisse sur le ponton mouille.

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