Partie 2

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(Point de vue d'Anastasya)

Je m'assois au troisième rang, ma place réservée dans la classe. Deux garçons du cours d'Histoire de l'Art se disputent la place à mes côtés. Je soupire bruyamment. Parfois, c'est réellement fatiguant d'avoir le statut que j'ai. Mais j'aime ça. Alors je me tais. J'observe les rangs de devant, histoire de découvrir les nouveaux élèves. Une brune du second rang se retourne. Deux immenses yeux gris me fixent. Mon souffle se coince dans ma trachée. Ses yeux. Emplis d'une douleur immense, d'un vide béant. C'est la fille qui m'a bousculée tout à l'heure. Je détourne rapidement le regard. Je sais d'ores et déjà que peu importe les efforts que je fasse à l'occulter, je n'oublierais pas ce regard.


(Point de vue de Kira)

Je croise son regard. Deux orbes verts, brillants. Je lis en elle comme dans un livre ouvert. Je vois cet air suffisant, cette suprématie. Je vois la haine, la haine refoulée, la haine envers tous. Et plus loin, presque invisible, je vois la souffrance, cachée tout au fond de son regard. Je devrais baisser les yeux, je le sais, je vais m'attirer des ennuis. Mais je n'y arrive pas. Cette fille me fascine.


(Point de vue d'Anastasya)

Je me lève précipitamment de ma chaise quand retentit la sonnerie. Il faut que je m'en aille, que je quitte celle salle de classe où l'oxygène me manque. Je ne comprends pas ce qui m'arrive. Moi, Anastasya Svensson, la reine des glaces, déstabilisée ? Je me dirige vers les casiers, aussi vite que mes talons aiguilles me le permettent. Mandy m'attend, mon frappucino à la main. Je lui arrache d'un coup sec et le bois en entier. La chaleur me brûle le conduit digestif. Je me reprends d'un coup, et affiche de nouveau mon sourire sadique. C'est décidé. Cette petite nouvelle sera ma victime. J'ouvre mon casier. Des lettre, des photos et des fleurs. Je ne prends même pas la peine d'y jeter un coup d'oeil. Comme chaque année, mes prétendants, mes amoureux éperdus, mes profonds admirateurs. J'aime être courtisée. Mais je ne suis jamais tombée amoureuse, jamais. De toute façon, je hais le genre humain. Je les déteste tous.

**

Je me retourne dans mon lit. Je n'arrive pas à trouver le sommeil. Il est 3h du matin. Des images me reviennent dans la tête. Des souvenirs enfouis, que je pensais avoir oublié. Et au milieu des images. Toujours les mêmes prunelles, au centre du tableau. Ce regard gris, vide de tout espoir, blessé au plus profond. Une boule se forme dans mon estomac. Je ne connais pas encore ce sentiment. La culpabilité. Je donne un coup de poing rageur dans mon oreiller. Je ne suis pas habituée à ressentir ce genre de choses. Cette fille m'a jeté un sort ou quoi ? J'allume la lumière. Je sors de mon lit, m'assois face à la fenêtre. J'observe le croissant de lune, à demi caché par des nuages gris. J'essaye de m'en empêcher, mais je n'y arrive pas. Il faut que je le fasse. J'attrape une feuille et un crayon. Et j'écris, j'écris, encore et encore, je noircis les pages. Des lignes et des lignes, parfois sensées, parfois vides de toute signification. Je n'arrive plus à m'arrêter, je remplis une page, deux pages. Mon poignet me fait souffrir. Mais je sens mon cœur apaisé. Je m'arrête, et regarde fixement les lettres que j'ai formées. Je m'étais jurée d'arrêter ça. Je ne suis pas une putain d'intello de merde. C'est le genre d'attitude que je critique à longueur de journées. Une fille 'in' ne peut pas faire ça. Je roule le papier en boule et le cache avec les autres, tout au fond de mon bureau. Un jour je les brûlerais, c'est promis. Mais pas tout de suite, mes nerfs sont encore à vifs. Je pense à ma réputation. Personne ne doit savoir que j'écris. Personne. Je range l'écriture dans un coin de mon crâne. Il me faut autre chose pour me calmer, quelque chose de plus tendance. Je me dirige vers mon sac de créateur. Il est là, au fond de ma trousse à maquillage. Mon petit bout de résine. Je m'applique à rouler mon joint. Je sens les pulsations dans mes veines, je vois ma respiration former des nuages de condensation devant la fenêtre grande ouverte. J'aspire une bouffée, puis deux. La fumée me pique les yeux, m'irrite la gorge. Le goût caractéristique du cannabis se répand dans ma bouche. Je sens tous mes muscles se détendre uns à uns. Je ferme mes paupières, inspire profondément. C'est bon et mauvais à la fois, j'adore et je déteste en même temps. Je rouvre les yeux. Et c'est alors que je la vois. La fille aux yeux gris.


(Point de vue de Kira)

Elle est là, en face de moi. Elle habite la maison voisine. Sa chambre est face à la mienne. Sa fenêtre est alignée à la mienne. Elle est debout, droite face à la nuit, droite face à moi. Cela semble tellement irréel. C'est peut-être un rêve, ou bien un cauchemar ? J'ai appris plus tôt dans la journée qu'elle s'appelait Anastasya Svensson. La fille la plus populaire du lycée, voire de la ville entière. Je plisse les yeux. Elle n'est plus aussi parfaite, sans son maquillage. Ses longs cheveux tombent en une cascade emmêlée de boucles épaisses sur ses épaules. Ses yeux paraissent beaucoup plus petits, sans ses cils en plastique, mais cela ne fait que d'accentuer le vert étincelant de ses prunelles. Je distingue deux petits boutons sur son front. Elle a de légères cernes violettes sous les yeux. Je souris intérieurement. Elle a presque l'air... humaine. Elle fait beaucoup plus jeune, beaucoup plus fraîche, sans tous ses artifices. Ses seins, que l'on distingue à travers son grand tshirt transparent, sont beaucoup plus jolis que les deux obus qu'elle se fabrique à renfort de Wonderbra pour aller en cours. Je peux presque sentir d'ici l'odeur de son joint. Mon cœur se serre si fort que j'en ai presque mal. J'aurais bien voulu pleurer, mais ça fait bien longtemps que mes larmes se sont assechées.


(Point de vue d'Anastasya)

Je n'arrive plus à réfléchir. Peut-être est-ce l'effet de la drogue qui monte dans mon cerveau. Je me sens comme ralentie. La fille aux yeux gris se tient en face de moi. C'est ma nouvelle voisine. Je prie de tout mon cœur pour qu'elle ne m'ait pas vue écrire. Je préfère qu'elle raconte à tout le monde que je suis accro au cannabis plutôt que tout le monde sache que je trace ces lignes sur le papier. Ma tête tourne un peu trop vite. Je revois ces scènes dans ma tête.


/flashback\

Mes talons claquent sur le sol. Ma cour me suit, comme des chiens aux basques de leur maîtresse. Je cherche ma victime du regard. Jaden Parker. Il est là, adossé à un casier. J'ai enfin trouvé ce minable. Mon sourire s'accentue. On va vraiment rigoler. Je le pointe du doigt devant une centaine d'élèves.

- Alors mon petit Jaden, comme ça tu nous raconte pas ce que tu fais de tes weekends ? Vous voulez savoir n'est ce pas ?

J'entends des murmures d'approbations dans mon dos. Mandy tape dans ses mains comme une gamine de cinq ans à Disneyland. Je ménage un petit suspens avant de me lancer.

- Et bien figurez vous que Jaden aime bien trainer autour des petites fillettes de 4 ou 7 ans, monsieur Jaden est un pervers sexuel ! Il passe ses soirées devant l'école des petits, et parfois il aborde des gamines ! Ça te t'excite les tshirt Hello Kitty hein Jaden ?

Jaden relève les yeux. Je vois toute la douleur du monde dans son regard. Il n'est pas en colère, bien au contraire. Il est blessé, à bout. Je vois qu'il souffre. Et j'aime ça.

/fin du flashback\

Je reviens à la réalité. Je suis assise sur mon lit. Je sens comme un trou béant dans ma poitrine. Je revois toutes ces personnes que j'ai fait souffrir. Jaden, qui a quitté l'école à cause de moi, Lucas, qui a été accusé d'avoir violé Minnie, Ashley, que j'ai fait passé pour enceinte, Miranda, qui a fait une tentative de suicide à cause d'une sale rumeur que j'avais lancée, et tous les autres. Je regarde mes mains manucurées. Je suis un monstre. Je suis une garce. Je me dégoute.

Je ne sais pas ce qui m'arrive. Des... remords ? Je n'arrive pas à y croire. C'est impossible. Anastasya Svensson n'a pas de cœur. C'est impossible.

Quatre SecretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant